Peter Hinssen
À quand l’avènement du véritable CIO?
La tension entre le business et l’IT existe depuis toujours, mais au lieu d’aller vers un mieux, la situation s’est empirée ces 2 dernières années. Le coupable? Le numérique qui est devenu une “normalité”, si bien que tout un chacun se sent aujourd’hui à l’aise avec la technologie numérique.
La tension entre le business et l’IT existe depuis toujours, mais au lieu d’aller vers un mieux, la situation s’est empirée ces 2 dernières années. Le coupable? Le numérique qui est devenu une “normalité”, si bien que tout un chacun se sent aujourd’hui à l’aise avec la technologie numérique. En d’autres termes, l’avantage naturel du savoir du département IT s’est érodé. Ou, pour le dire sans ambages, puisque tout le monde a commencé à déambuler un iPad à la main, le département IT a vraiment perdu son avantage à la “frontière de la technologie.”
Et je pense que le CIO est le grand fautif. Dans bon nombre d’entreprises, les CIO n’ont jamais rempli leur rôle; au lieu de cela, ils se sont obstinés à exercer la fonction – plus confortable – de chief technology officer (CTO). Cela s’explique par le fait que la plupart de ces personnes étaient actives dans l’IT avant même que la discipline ne soit baptisée IT. L’IT date de l’ère du traitement électronique des données, lorsque les entreprises disposaient d’unités pour traiter des volumes considérables de données (financières). Bon nombre de départements IT semblent coincés dans leur rôle de “fournisseur de technologie.” Très peu ont réellement évolué vers ce que l’on attend vraiment d’un CIO, à savoir exercer un impact majeur sur le mode de traitement des informations de leur entreprise.
La plupart des soi-disant CIO se sont bornés à installer des copies de Microsoft Office sur les ordinateurs portables de leurs collègues et à mettre des serveurs SharePoint à la disposition de ces derniers pour stocker les documents. Mais très peu d’entre eux ont eu un impact majeur sur la manière dont leur entreprise traite le contenu et acquiert de nouvelles connaissances, ni sur la façon dont elle peut innover grâce aux informations. Bon nombre de CIO ont fourni à leurs employés des téléphones portables, puis des BlackBerry, et – lorsqu’il fut impossible de reporter l’inévitable – des iPhone et autres smartphones. Au fond, leur mission se limitait à fournir du matériel et des logiciels nomades et à les sécuriser, un point c’est tout. S’assurer que leur entreprise pouvait profiter des possibilités infinies de la révolution mobile semblait inconcevable pour la plupart.
Cela explique que le CIO avait rarement une véritable place à la table de la direction générale et que la plupart des CIO rendaient compte à d’autres cadres plus haut placés, souvent le CFO. Chris Anderson, le rédacteur en chef de Wired, a un jour déclaré que “les CIO sont devenus le poids mort d’une organisation qui empêche les véritables innovateurs (technologiques) de prendre les choses en main”. Aïe!
Mais récemment, nous avons assisté à la montée en puissance d’une nouvelle “race” de CXO: le CDO ou chief digital officer. Qui est cette personne fringante qui s’occupe du numérique et du social? C’est le CDO! Qui est cette personne qui s’attaque aux questions stratégiques portant sur le big data et les innovations analytiques? C’est le CDO, pardi! Ce héros IT de nouvelle génération voit dans le numérique un moyen d’innover. Sa mission périlleuse consiste à transformer le modèle d’entreprise. Le CDO n’implémente pas la technologie, il met en oeuvre une innovation reposant sur la technologie.
Cela soulève une question fondamentale: le CIO, le CTO et le CDO sont-ils une seule et même personne, ou sont-ils profondément différents? Ces 5 dernières années, j’ai collaboré avec des centaines de CIO du monde entier, ce qui m’a permis de comprendre leurs objectifs et leurs priorités. Le sentiment général semble être que de nombreux CIO veulent absolument assumer cette nouvelle fonction héroïque de chief digital officer. Malheureusement, la plupart se heurtent à deux obstacles de taille. Premier frein: beaucoup de CIO font face – dans leur département IT – à l’absence de talents appropriés pour promouvoir le numérique. Leur division regorge de collaborateurs qui comprennent l’infrastructure, les serveurs et les systèmes ingénieux comme Exchange ou SAP, certes. Mais les CIO disposent rarement des compétences numériques essentielles de nos jours: compétences en réseautage social, expérience dans le traitement analytique du big data, connaissance des télécommunications numériques, maîtrise de la gestion des conversations, etc. Le second obstacle qui se dresse sur la route des CIO désireux de devenir CDO est qu’ils sont rarement jugés “crédibles” par leurs homologues. La raison en est que bon nombre des opportunités numériques exigent une compréhension approfondie des défis de l’entreprise, et l’environnement du CIO doute souvent de disposer des ressources suffisantes pour soutenir cela. C’est en partie dû au fait que les CIO sont encore confrontés à de vieux “casiers judiciaires” faisant état de projets IT complexes et très pénibles. On peut dire que leur réputation est souvent entachée et que la fiabilité et le respect ne sont pas vraiment les premiers termes qui viennent à l’esprit à l’évocation du rôle de CIO.
Résultat: beaucoup de chief digital officers n’ont PAS de formation IT. Ils sont issus de divisions renommées, comme le marketing, la prospection ou la vente. En fait, ils viennent de partout, sauf de l’univers IT. Rien d’étonnant à ce que de nombreuses organisations disposent désormais d’un département IT truffé de compétences numériques obsolètes dirigé par le CIO et d’une division numérique avec des talents nouvelle génération dirigée par les CDO… qui ont souvent plus de vingt ans en moins que les CIO.
En toute franchise, je pense que des entreprises intelligentes trouveront un moyen de réconcilier les deux mondes. Car ce qui se passe dans le “nouveau numérique” en termes d’innovations centrées sur le client devra – à un certain stade – être connecté et intégrer avec le “vieux” back-office numérique de l’entreprise. Le CIO devra cependant subir un énorme transfert de responsabilités pour assumer ce rôle. Il est grand temps pour le CIO de décider s’il veut jouer le rôle de Batman ou de Robin. Il est temps de séparer les garçons des hommes. Je crois par ailleurs que ce revirement nécessitera une refonte complète du département IT. Et le CIO devra monter au créneau pour finir par pleinement assumer le rôle de chief ‘information’ officer.
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