Pieterjan Van Leemputten

Vous n’avez certainement rien à cacher?

Si vous sommes prêts à abandonner un peu de notre vie privée, les services de renseignements pourront nous prémunir contre le terrorisme. Du moins c’est ce qu’ils prétendent. Associer ignorance et peur ne peut pas entraîner la perte de nos droits fondamentaux, même pas pour combattre le terrorisme.

Apple refuse au FBI de lui ouvrir l’accès à l’iPhone des terroristes de San Bernardino et est soutenue dans sa décision par Google et WhatsApp. Incompréhensible dans la mesure où cette autorisation d’accès permettrait d’élucider un cas relativement évident de terrorisme et de prévenir éventuellement de futures attaques.

Votre téléphone peut-il être analysé s’il apparaît que votre voisin ou collègue est parti pour la Syrie?

La question n’est toutefois pas tant de savoir si la vie privée de terroristes doit être protégée, mais bien où se situe la frontière qui justifie une telle intervention. Si l’autorisation est donnée dans un tel cas, peut-elle être appliquée à une personne qui a causé un drame familial? Pour un accident mortel de la route? Pour une attaque à main armée? Faut-il se baser sur le nombre de victimes? Sur les convictions religieuses de l’assaillant? Le nombre de balles tirées? Apple devrait-elle faire de même si la question se posait en Chine, mais en l’occurrence avec un dissident du régime? Ou un Palestinien suspect en Israël? Quid s’il s’agit d’un journaliste qui souhaite publier un article renfermant des informations particulièrement utiles sur l’EI ou un article susceptible de faire tomber un gouvernement? Un tel individu serait-il arrêté aux E-U? Ou en Belgique? Votre téléphone peut-il être analysé s’il apparaît que votre voisin ou collègue est parti pour la Syrie?

La réalité est que tout service de renseignement, tout pays ou tout politicien a sa propre définition de ce qu’il considère comme dangereux et l’ignorance face à la technologie n’arrange rien. Il est dès lors dans l’intérêt de chacun qu’Apple et consorts refusent par principe toute participation. Demandez-le aux dissidents chinois qui, en 2005, ont été repérés par les autorités chinoises grâce à Yahoo.

Les bitcoins, arme de destruction?

Mais le contexte ne se limite pas à un iPhone piraté. La haute magistrate et présidente d’Eurojust, Michèle Coninsx, dévoilait cette semaine dans Knack que l’EI finançait ses actions à l’aide de bitcoins, ce qui rend la collecte d’éléments de preuve particulièrement difficile. Ce qui inciterait s’attaquer à une chose aussi mystérieuse que le bitcoin dans la lutte contre le terrorisme.

Pourtant, le bitcoin n’a encore fait aucune victime (sinon au niveau financier, mais c’était également le cas durant la crise bancaire). Des activités illégales sont-elles ainsi financées? Oui. Le bitcoin est-il essentiellement un moyen de paiement pour des actions malhonnêtes ou illégales? Non. Tout comme l’argent liquide d’ailleurs, qui serait utilisé depuis des siècles par les criminels. Ajoutons que notre pays n’a reçu depuis 2014 que 7 plaintes seulement concernant les bitcoins.

Du fait d’une accumulation d’éléments, nous sommes tentés de répondre à la demande de services de renseignements et de donner davantage accès à notre vie privée numérique.

La réalité est qu’une accumulation d’éléments nous incite à répondre favorablement à la requête de services de renseignements d’avoir davantage accès à notre vie privée numérique. Souvent avec cette remarque: ‘Vous n’avez certainement rien à cacher?’ Eh bien, pour ma famille et mes amis, en fait non. Pour mon patron? (Salut, Kristof), peut-être un peu. Pour les entreprises à propos desquelles j’écris? Oui. Pour les pouvoirs publics, les services de renseignements, les politiciens ou les groupes terroristes sur lesquels j’écris? Très certainement. Suis-je un danger pour l’Etat? Pas vraiment. Mais il ne m’appartient malheureusement pas d’en décider.

Interdire la technologie ou demander l’aide d’un fabricant pour un piratage est inutile à long terme. Si nous interdisons le bitcoin, l’EI inventera sa propre cryto-monnaie ou utilisera un autre moyen. Si les services de renseignements peuvent ouvrir n’importe quel smartphone, les terroristes finiront par trouver d’autres techniques. Bénéfice à court terme dont le coût sera supporté par l’ensemble de la société.

Puis-je pousser le bouchon encore plus loin?

En guise d’argument ultime, permettez-moi d’évoquer l’affirmation la plus hypocrite de la semaine. Selon la NSA, le chiffrement des communications a empêché la détection des attentats de Paris.

Voilà qui s’apparente à se réjouir du malheur d’autrui. Sans chiffrement, l’internet banking serait impossible, la police pourrait procéder à des écoutes et les adversaires de régimes en Iran, en Chine et en Syrie notamment ne pourraient parler librement. En l’essence, cela revient à dire que les attentats ont pu être perpétrés parce que quelqu’un a un jour dessiné le plan de la ville de Paris.

Les produits des usines d’armement causent davantage de victimes que les produits de la Silicon Valley.

Se pose dès lors la question de savoir comment des attentats peuvent-ils être réellement déjoués. Je ne suis pas un expert en terrorisme, mais rares sont les personnes qui ont été tuées par un bitcoin, un iPhone verrouillé ou des communications sécurisées. En revanche, chaque jour, des personnes sont tuées ou assassinées, même par des non-terroristes. Je ne connais pas les chiffres exacts, mais les produits des usines d’armement font plus de victimes que les produits de la Silicon Valley. Et ceux-ci permettent même de faire de beaux selfies.

Encore une chose: en Belgique, on a recensé en 2014 715 victimes de la route. Soit bien plus que les 130 tués de Paris, même si l’on y ajoute ceux de Charlie Hebdo. S’il est sans doute vil de comparer des victimes, nos routes et tunnels causent plus de décès qu’Apple qui envoie promener les services de renseignements.

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