La révalidation par le jeu
Si la réalité virtuelle et la réalité augmentée sont souvent encore associées aux jeux vidéo, la véritable percée de cette technologie passera par un déploiement dans d’autres départements. Et notamment dans le monde médical.
Le monde médical s’intéresse depuis des années déjà à la réalité virtuelle et à la réalité augmentée. Assez logique finalement : les chirurgiens se forment par exemple sur les nouveaux instruments et opérations sans devoir ainsi intervenir sur des corps humains. Et à présent que la RV est financièrement abordable, un nombre croissant d’applications voient le jour pour les patients, notamment en revalidation.
Au lit avec ses lunettes
Depuis que la RV est moins chère, notamment avec Google Cardboard ou le Samsung Gear VR, des applis voient le jour comme outil thérapeutique. En dotant les patients alités de lunettes pour leur faire visualiser une version virtuelle de l’Islande ou les plonger dans l’océan, il est possible de les relaxer ou de leur faire vivre des sensations nouvelles.
Les débouchés s’annoncent prometteurs et la start-up belge Oncomfort y croit fermement. Diane Jooris, elle-même thérapeute, a fondé cette entreprise avec l’aide de sa soeur. “Ma soeur est atteinte de douleurs chroniques et la thérapie est toujours très stressante”, explique-t-elle. L’appli d’Oncomfort vise à alléger l’aspect mental d’une revalidation. “Nous donnons à davantage de patients accès à l’assistance psychologique, poursuit-elle. Le nombre de thérapeutes capables d’aider des malades atteints de douleurs chroniques est très limité, alors que la RV permet de combattre le stress en permanence.”
C’est une forme d’hypnose virtuelle.
L’appli s’appuie sur un smartphone et des lunettes afin de plonger le patient dans un environnement relaxant. “C’est une forme d’hypnose virtuelle, explique encore Jooris. Les patients sont guidés dans ce monde et apprennent des techniques de relaxation. Nous constatons qu’ils sont moins anxieux lorsqu’ils suivent cette thérapie. Au final, l’ambition est d’améliorer la qualité de vie des patients.”
Bouger, bouger, bouger
La revalidation devient totalement créative lorsque les lunettes désormais classiques ne sont plus utilisées. Comme le fait la suisse MindMaze qui aide à la revalidation des personnes victimes d’AVC. Elle propose à cet égard une gamme complète de technologies, qu’il s’agisse de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée ou de la gamification. En faisant répéter certains mouvements aux patients, ils retrouvent la maîtrise de leurs membres. Le système s’appuie pour ce faire sur une sorte de réalité augmentée qui visualise les mouvements à l’écran. Rien à voir avec les lunettes que l’on connaît désormais bien. “Pour nous, les lunettes ne sont pas l’idéal, estime Frederic Condolo. chief product officer. Certains de nos patients ont par exemple des migraines et ne supportent donc pas les lunettes. D’autres ont des cicatrices, souffrent d’infection bactérienne, etc.”
MindMaze fait appel à un grand écran et une caméra.
MindMaze fait appel à un grand écran et une caméra. “Avec un écran d’une taille suffisante, on a le sentiment d’immersion, comme dans la RV, ajoute Condolo. On joue depuis des années sur écran, ce qui permet de plonger totalement dans ce monde virtuel.” Pour sa part, la caméra surveille le patient et veille à ce qu’il exécute les bons mouvements. “Le patient apprend à maîtriser son corps et à retrouver ses mouvements. Dès lors, le retour de force est important, note encore Condolo. La caméra fonctionne un peu comme un Kinect, le capteur de mouvements de la console de jeux Xbox. Cependant, le Kinect utilise le rayonnement électromagnétique, lequel est interdit dans les chambres d’hôpital puisqu’il risque de perturber le fonctionnement des équipements médicaux. “Les règles sont très contraignantes. C’est pourquoi nous utilisons une caméra qui peut par exemple fonctionner lorsque les patients sont alités ou en chaise roulante. De même, le matériel de gaming classique ne fonctionne pas, ce qui nous a obligé à concevoir notre propre équipement. Ce n’était d’ailleurs pas prévu à l’origine”, sourit Condolo.
Jeux intelligents
Quoi qu’il en soit, les hôpitaux se montrent enthousiastes face au déploiement de cette technologie. Sur le campus St.-Ursula de la clinique Virga Jesse de Herk-de-Stad aux Pays-Bas, la RV et la RA sont notamment mis en oeuvre pour la revalidation d’accidentés de la route. “Nous travaillons avec des patients neurologiques, explique Marc Michielsen, thérapeute en chef de St.-Ursula. Il s’agit par exemple de personnes ayant eu un infarctus cardiaque, une hémorragie ou des lésions traumatiques.” Il s’agit à chaque fois de patients ayant perdu toute sensation ou contrôle sur un membre, même si ce membre n’est pas vraiment atteint. Grâce aux exercices, le cerveau de ces patients peut rétablir les connexions correctes et retrouver le contrôle de leur membre. “Si l’on attache aujourd’hui entre eux deux doigts d’une personne, son cerveau pensera dans les deux heures qu’il n’y a plus qu’un seul doigt. Donc si vous subissez un traumatisme, le cerveau estimera très vite que cette partie du corps n’existe plus”, poursuit Michielsen. Grâce aux jeux, il est possible de faire bouger le bras ou la jambe, et le cerveau saura que ce membre existe encore. La littérature nous apprend que ces exercices peuvent être mieux assimilés à mesure que l’entraînement est plus réel.”
Pour ce faire, différentes techniques et technologies sont mises en oeuvre. “C’est notamment le cas de ‘jeux intelligents’ et de réalité virtuelle”, poursuit Michielsen. Ainsi, le centre de revalidation utilise une sorte de gant doté de capteurs qui transcrivent les mouvements des doigts vers une main virtuelle. Ce faisant, les patients peuvent par exemple cueillir des carottes virtuelles ou tuer un lapin. Du coup, les patients réapprennent à se servir de leur main. “Nous faisons de même pour l’équilibre. Il y a un exercice où le patient pilote un avion en réalité virtuelle en se penchant vers l’avant ou vers l’arrière. C’est en quelque sorte une Wii [la console de jeu de mouvements de Nintendo, NDLR].”
Jouer pour apprendre
Les similitudes avec les consoles de jeux ne sont pas fortuites. Tant MindMaze que l’hôpital St.-Ursula font appel à la gamification, à savoir des jeux pour motiver les patients. “La revalidation, c’est comme apprendre à jouer du piano. Il faut sans cesse répéter et répéter. Du coup, il faut être motivé, au risque d’abandonner, poursuit Condolo. Certes, le patient souhaite guérir, mais s’il a eu une affection qui l’empêche de bouger, il ne peut rien faire. Il est alors difficile de se motiver et de se dire que l’on va répéter 500 fois le même mouvement. Même si l’on sait que c’est pour son bien, on a tendance à renoncer ou, pire encore, à essayer de vivre avec son handicap et de trouver des alternatives plutôt que de se battre.”
Mindmaze recourt donc aux jeux pour motiver les patients. La caméra enregistre si le mouvement est correct et le système attribue des points. Les mouvements sont proposés dans un cadre virtuel, ce qui donne plus de fun. “Pour apprendre à prendre un verre sur une table, on est dans un chariot minier virtuel dont il faut activer des manettes, précise Condolo. La réalité virtuelle rend la situation agréable et permet d’intensifier les exercices, ce qui constitue un prolongement intéressant de la thérapie classique.” En outre, il s’agit à ses yeux d’un complément à l’arsenal thérapeutique, outre la revalidation ‘classique’ à l’aide d’un thérapeute. “On passe de deux heures de thérapie à trois ou quatre heures, estime toujours Michielsen. Le bras ou la jambe continue d’exister pour le cerveau.”
MindMaze tient un raisonnement similaire. “Pour une revalidation réussie, il faut commencer tôt, estime Condolo. Il faut s’entraîner le plus souvent possible et faire les bons mouvements. Cela signifie également d’avoir le bon feedback.” Pas évident lorsque le nombre de thérapeutes des mouvements est limité. “Les gens reçoivent au maximum 20 minutes de thérapie de revalidation par jour. Ce n’est pas suffisant. Nos machines nous aident à cet égard et essaient de maintenir la motivation.” Ajoutons que MindMaze propose une option “multi-joueurs” qui permet à plusieurs patients de jouer ensemble. De quoi imbriquer davantage encore RV “sérieuse” et “ludique”.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici