Bram Vanderborght

Comment transformer les robots en un bienfait

Bram Vanderborght Professeur en robotique à la VUB. Il fait partie de nos initiés en robotique. 

Le spécialiste de la robotique Bram Vanderborght de la VUB plaide pour un agenda des robots inclusif, afin que tout le monde puisse bénéficier du bien-être engendré par ceux-ci. Ou comment transformer la malédiction en une bénédiction.

Selon une étude de l’université d’Oxford, 48 pour cent des emplois actuels pourraient être remplacés par des robots et des ordinateurs dans la prochaine décennie: une malédiction. Le World Economic Forum (WEF), qui se tient actuellement à Davos, met également en garde contre la perte de millions d’emplois en raison d’industry 4.0.

Le fameux rapport du WEF se base sur la même méthode que celle utilisée pour l’étude d’Oxford, qui n’est acceptée nulle part au niveau scientifique car elle fait l’objet de nombreuses remarques fondamentales. Il y a donc matière à discussion à propos des nombres cités.

Doit-on dès lors simplement ignorer le rapport de Davos? Je ne le pense pas car il a mis sur la plus importante table économique le thème du rôle joué par la technologie dans notre société. Le défi à relever sera de transformer la malédiction en une bénédiction, et la méthodologie à utiliser sera d’établir un agenda des robots inclusif.

La puissance de la technologie

Depuis la Révolution Industrielle, la technologie possède la puissance unique pour renforcer la croissance et transformer les économies. Voyez à cet égard l’impact que la voiture, l’ordinateur, l’internet et le smartphone exercent sur notre vie.

Dans le rapport McKinsey “Disruptive technologies: Advances that will transform life, business, and the global economy” datant de mai 2013, l’on trouve une analyse de la façon dont le monde politique et la société doivent se préparer aux nouvelles technologies, et l’on énumère 12 technologies révolutionnaires qui vont transformer notre vie et notre économie.

C’est surtout la combinaison AI (intelligence artificielle), informatique dans le nuage (cloud computing), internet des choses (Internet of Things) et robotique qui pourrait en 2025 déjà avoir un impact oscillant entre 15 et 30 trillions de dollars, ce qui est nettement supérieur au marché du PC actuel (+/- 1,2 à 1,6 trillion de $).

Ces technologies ont le potentiel pour fournir des milliards de consommateurs, des centaines de millions d’emplois et des trillons de dollars d’activité économique. L’Europe va-t-elle laisser passer ces technologies sans réagir? Comme nous avons les marchés, nous ne pouvons pas être uniquement des consommateurs, mais nous devons surtout devenir des producteurs pour créer ainsi de très nombreux nouveaux emplois.

Les robots, une malédiction ou un bienfait

Notre marché du travail est en constante évolution grâce à la technologie. Il y a 200 ans, la plupart des humains travaillaient à la campagne, alors qu’ils ne sont plus que quelques pour cent à présent, puis dans l’industrie, avec l’apparition du travail des enfants et des longues semaines de labeur, alors qu’à présent, le travail se trouve surtout dans le secteur des services.

Outre les emplois qui disparaissent (les opérateurs qui font suivre manuellement les communications téléphoniques), d’autres, nombreux, sont aussi venus s’ajouter (par exemple dans le secteur des smartphones) et certains se sont adaptés. Suite à l’arrivée de l’ordinateur, la fonction de secrétaire par exemple a bien évolué. Il nous faut également inscrire cette évolution dans les défis sociaux qui nous attendent.

Les voitures autonomes vont remplacer les chauffeurs de taxi et les livreurs. Par contre, l’on s’attend à ce que ces véhicules autonomes fassent diminuer radicalement le nombre d’accidents de circulation (par an, le trafic provoque 400 fois plus de morts que le nombre de tués lors des attentats du 11 septembre) et garantissent un transport plus écologique.

Chez Amazon, les personnes qui préparent les commandes, ne doivent plus parcourir des distances kilométriques entre les rayonnages et ce, pour un salaire de misère, car les robots Kiva se chargent de rapprocher les rayons de ces travailleurs.

Les robots peuvent aussi augmenter l’attractivité de certaines professions, comme dans la construction (robots d’impression 3D) ou l’agriculture (traite des vaches). Différents emplois physiques exigent des positions non-ergonomiques comme le travail à genoux ou les mains au-dessus de la tête, ou nécessitent des tâches répétitives comme le fait d’emballer 2.000 fois par jour un produit d’un poids de 2 kg, avec comme conséquence des douleurs physiques et de l’absentéisme, qui coûtent beaucoup d’argent à l’économie.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, le travail manuel est très difficilement automatisable. Voyez comme les robots du Darpa Robotics Challenge par exemple sont encore maladroits. Ils peuvent à peine ouvrir une porte ou fermer un couvercle. Le travail manuel est certes malaisé à robotiser, mais comme les ordinateurs exécutent très bien le traitement de nombreux nombres, divers emplois dits ‘à col blanc’ devront aussi s’adapter.

Tel est le cas des comptables, où des ordinateurs peuvent rapidement appliquer des règles sur de nombreux nombres, ou encore des juristes, où des ordinateurs peuvent passer en revue une masse de textes de loi et de jugements rendus. IBM est en train de poursuivre le développement de l’ordinateur Watson, qui a remporté le jeu du quizz aux Etats-Unis, pour aider les médecins à établir un diagnostic des patients.

Un agenda de robots inclusif

Grâce à une bonne stratégie, il nous faut transformer la malédiction des robots en une bénédiction. La population en Flandre par exemple vieillit rapidement. Actuellement, il y a pour 1 pensionné (de plus de 65 ans) 4 personnes actives dans la population (18-64 ans). Et en 2040, il n’y aura plus que 2 personnes actives pour 1 pensionné.

Pour pouvoir conserver le même niveau de bien-être, la population active devra donc travailler plus longtemps. En outre, il y aura aussi moins de personnes qui pourront s’occuper des seniors. Il sera dès lors utile que des robots prennent le relais et veillent à ce que les seniors puissent continuer d’habiter plus longtemps de manière autonome dans leur habitation.

De plus, en fabriquant en Belgique des produits avec l’aide de robots et en réduisant la production dans les pays à bas salaires comme la Chine, nous pourrons produire plus durablement et créer davantage d’emplois à la fois plus sains et meilleurs.

Pour faire de cette malédiction une bénédiction, nous devons continuer d’investir en tant que société dans la recherche innovante et nous assurer que ces nouveaux produits ne restent pas bloqués dans les universités, mais trouvent leur voie vers l’entreprenariat et de préférence des applications qui feront collaborer l’homme et le robot.

La technologie est un puissant instrument. Il nous faut donc l’exploiter de manière responsable. L’utilisation de l’innovation technologique pour davantage de bien-être, de prospérité et de progrès doit également aller de pair avec une attention accordée aux aspects éthiques tels le respect de la vie privée et la sécurité. Mais cela ne signifie pas qu’il faille jeter le bébé avec l’eau de son bain. La législation doit suivre le développement technologique, afin que l’innovation puisse se déployer avec une sécurité juridique suffisante, mais sans nuire aux droits fondamentaux des citoyens.

Nous devons orienter notre enseignement de telle sorte à former les jeunes et à recycler les travailleurs aux tâches pour lesquelles les robots ne conviennent pas vraiment, comme la collaboration créative par exemple. Nous apprendrons aux jeunes les bases de la physique, de la biologie, des langues et de l’histoire et même s’ils peuvent utiliser sans problème l’ordinateur, ils ne savent pas grand-chose des principes sous-jacents, alors que ces compétences numériques sont essentielles pour les emplois du futur.

De plus, si les robots prennent à leur compte davantage d’emplois, il nous faut réfléchir à la façon dont nous allons répartir la prospérité au sein de la société, comme par exemple la réduction de la semaine de travail ou l’évolution vers un revenu de base garanti.

Conclusion

La robotique a le pouvoir à la fois de contrôler de nouveaux marchés économiques et de proposer des solutions aux problèmes sociaux. La Belgique a envoyé à Davos son ministre en charge de l’Agenda Numérique, Alexander De Croo, pour qu’il plaide pour que nous restions maîtres des robots, ce qui est possible, selon moi.

Je défends par conséquent la mise en oeuvre d’un agenda de robots inclusif, auquel nous, les chercheurs, devons collaborer au même titre que les employeurs et les employés, les pouvoirs publics et tous les esprits créatifs et entrepreneurs.

En favorisant la complémentarité entre le robot et l’homme, l’enseignement, l’entreprenariat et les mécanismes permettant à tout un chacun de profiter de la prospérité créée par les robots, nous pourrons transformer cette malédiction en une bénédiction. Espérons que les robots nous permettent même de devenir plus humains et de disposer de plus de temps pour notre tâche principale qui est de nous occuper des autres.

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