Matthias Dobbelaere-Welvaert

‘Chaque journée, une nouvelle atteinte à votre confidentialité. Bienvenue en 2017’

Matthias Dobbelaere-Welvaert Matthias Dobbelaere-Welvaert est fondateur de lesJuristes et supporte les entreprises en matière de droit internet.

Notre pays a annoncé la semaine dernière une protection par caméras interposées ‘dans la lutte contre le terrorisme’. Cela sous-entend l’utilisation de ce qu’on appelle des ‘caméras super-flash’. “Notre peur du terrorisme est exploitée sans le moindre scrupule politique pour saper jour après jour toujours davantage la liberté et le respect de la vie privée du citoyen”, écrit Matthias Dobbelaere-Welvaert.

Au nom de la menace terroriste et de la sécurité, des mesures les plus stupide les unes que les autres ont été prises ces derniers mois. Les services de sécurité vivent les plus beaux jours de leur vie. Alors qu’avant, les organismes démocratiques faisaient de la résistance, quasiment personne n’ose actuellement encore s’opposer au déploiement de la force qui se manifeste en coulisses. Il est vrai qu’il n’y a guère d’avantages politiques à engranger en misant sur une ‘sécurité moindre’, même si cela signifierait aussi ‘une meilleure confidentialité’.

La caméra intelligente

Un bel exemple de la nouvelle tendance politique, c’est l’abolition des cartes SIM prépayées anonymes. A l’initiative du ministre Alexander De Croo, un arrêté royal allant dans ce sens est passé comme une lettre à la poste en décembre dernier. Ce qui est étonnant, c’est qu’en juin 2016, le même De Croo s’opposait encore à la suppression de ces cartes SIM. “Les services de sécurité ne peuvent considérer tous les citoyens comme des suspects potentiels”, avait encore déclaré De Croo à l’époque, tout en soulignant aussi la forte charge administrative d’une telle mesure.

Comme si l’on pouvait ramener les terroristes à des cartes SIM enregistrées. Personne n’y croit!

Mais notre gouvernement poursuit sur sa lancée dans sa ‘lutte contre le terrorisme’. La nouvelle tarte à la crème s’appelle ‘la protection du pays par des caméras’, ce qui signifierait que dans les deux années à venir, pas moins de 1.000 (!) nouvelles caméras routières intelligentes viendraient s’ajouter, qui seront à leur tour connectées à des systèmes logiciels existants.

‘Chaque journée, une nouvelle atteinte à votre confidentialité. Bienvenue en 2017’

En mars 2016 déjà, 500 caméras ANPR étaient installées sur les routes et autoroutes belges, comme il était ressorti d’une question parlementaire. Ces mêmes caméras ANPR qui ont la semaine dernière encore défrayé la chronique, lorsqu’il est apparu que ces caméras intelligentes étaient capables de beaucoup plus que simplement lire les plaques d’immatriculation des véhicules. C’est le journaliste du magazine Knack, Kristof Clerix, qui s’est farci la brique de 200 pages du devis indiquant aussi une ‘reconnaissance faciale’ dans l’adjudication des nouvelles caméras. La Commission vie privée en tomba des nues.

Le nouveau radar super-flash que la Belgique entend utiliser d’ici la fin de l’année, est toutefois encore d’un autre calibre qu’une caméra ANPR. Il peut contrôler 32 véhicules simultanément et ce, non seulement pour des excès de vitesse, mais aussi pour des vitesses trop lentes, des distances inappropriées entre véhicules, des dépassements par la droite, etc. Ces radars sophistiqués peuvent surveiller jusqu’à huit bandes de circulation en même temps. La Belgique entend conserver ces données pendant un an (!) (une durée sensiblement plus longue que celle d’un mois en vigueur aux Pays-Bas), mais on ne sait pas quelles garanties de sécurité notre pays va offrir et quel sera le coût de stockage d’une telle quantité de données pendant aussi longtemps.

L’Etat policier: connecté toujours et partout

Il y a dix ans, on pouvait encore assez facilement rouler de manière anonyme dans sa voiture. Aujourd’hui, c’en est bien fini. Comme susmentionné, les caméras ANPR sont déjà présentes sur les routes, mais aussi dans les parkings souterrains, voire dans des entreprises privées (une caméra ANPR peut s’acheter pour un faible prix (500 à 1.500 euros). Même les caméras ordinaires – démodées – vous suivent évidemment encore et toujours de près, que ce soit à pied, en vélo ou en voiture. Elles sont partout pour votre sécurité, cela va de soi.

Aujourd’hui, les bases de données de toutes ces possibilités de contrôle sont déjà passablement interconnectées, mais en raison de la piètre organisation des instances publiques en Belgique, une connexion plus poussée se fera encore un peu attendre. La technologie de pointe coûteuse existe bel et bien, mais le discernement et le bon sens pour s’en servir le sont beaucoup moins. Il ne faudra cependant plus attendre des années, avant que les pouvoirs publics consentent les investissements nécessaires pour (faire) créer un excellent système opérationnel.

‘Ne vous laissez pas prendre par d’habiles jeunes politiciens qui exploitent votre crainte (irrationnelle) à des fins guère agréables’

Valeurs démocratiques et juridiques

Entre tous ces palabres politiques sur la sécurité et les nouvelles mesures, les valeurs tant démocratiques que juridiques se trouvent fortement sous pression. Je l’écrivais il y a pas mal de temps déjà et je le répète aujourd’hui encore: la sécurité est une illusion. Ne vous laissez pas prendre par d’habiles jeunes politiciens qui exploitent votre crainte (irrationnelle) à des fins guère agréables.

Une démocratie qui fonctionne bien, ne prend pas de décisions en panique, mais débat sur le bien fondé ou non de chaque mesure qu’elle veut prendre. Le mieux est l’ennemi du bien (Less is more) car si on veut que les citoyens connaissent les lois, mieux vaut ne pas en ajouter un certain nombre chaque jour. La seule bonne idée que j’aie jamais entendu prononcer par Trump, c’est que pour chaque nouvelle loi introduite, il veut en abolir deux. Malheureusement pour lui, il n’a probablement pas la moindre connaissance du contenu de ces lois, mais cela, c’est un sujet pour un autre débat… éculé.

La Constitution belge déborde de libertés qui prennent aujourd’hui de sacrés coups. Liberté d’expression, non-discrimination et, évidemment, l’article 22 ou le droit au respect de la vie privée. J’ai été sincèrement et agréablement surpris, lorsque j’entendis la Commission vie privée déclarer ces mots par la bouche de son président Willem Debeuckelaere: “C’est le commencement de la fin. On tente à présent de tout traiter et stocker. Cela va trop loin. Cela dépasse toute proportion“. Je ne fais pas un secret que je me suis souvent opposé à la Commission vie privée. Je lui ai reproché il n’y a guère encore d’être un institut quelque peu apathique, mais il est bon d’entendre que des réactions à la fois plus fermes et plus critiques se manifestent là où il faut qu’elles le soient.

‘Si vous cherchez une aiguille dans une meule de foin, vous n’allez pas agrandir encore celle-ci, mais la réduire’

L’avenir

Nous avons clairement peur des choses incongrues. Notre crainte du terrorisme est abusée sans le moindre scrupule politique pour saper jour après jour toujours davantage la liberté et le respect de la vie privée du citoyen. Les pouvoirs publics sont devenus aveugles, et l’on entend beaucoup trop peu de voix se faire entendre pour y mettre fin.

Disposer de plus de données ne génère pas une plus grande sécurité. Si vous cherchez une aiguille dans une meule de foin, vous n’allez pas agrandir celle-ci, mais la réduire. Posséder plus de données ne peut qu’amplifier le pouvoir. Aujourd’hui, ce pouvoir repose entre les mains d’un système de droit démocratique fonctionnant relativement bien, mais comme on le voit aux Etats-Unis et dans d’autres pays encore, le respect de la vie privée est un principe évolutif qui peut être rapidement mis de côté. Et alors qu’on nous endort avec de vaines promesses de rues sûres dans notre quartier et de garanties indécises en matière de protection des données, n’oublions surtout pas que nous l’aurons choisi collectivement nous-mêmes, si cela tourne irrémédiablement mal d’ici quelques années. Si ce n’est pas à cause d’un gouvernement corrompu, ce sera par le truchement d’un (collectif de) pirate(s), d’une faille au niveau des pouvoirs publics ou tout bêtement d’un amateurisme sur le plan de la sécurité. Il est aujourd’hui plus que jamais temps de défier à ce propos le monde politique car bientôt, ce sera peine perdue.

La semaine dernière, on a aussi appris que des services publics avaient vendu d’anciens ordinateurs, dont le disque dur n’avait pas été effacé. Des dossiers de réfugiés, des données personnelles, voire des photos de nus ont ainsi été proposés nonchalamment en seconde main.

Et vous confieriez vraiment à ces mêmes pouvoirs publics toutes vos données, libertés et confidentialité?

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