Où en est l’IA en Belgique ?

Els Bellens

La situation est peut-être propre au secteur informatique, mais dès qu’un terme en vogue apparaît, qu’il s’agisse d’une technologie ou d’une solution, on lui attribue toutes sortes de significations au point de ne plus vraiment savoir ce qu’elle recouvre. Voici peu, c’étaient le cloud ou l’agilité. Désormais, c’est l’IA.

Au point que l’intelligence artificielle implique vraiment tout et n’importe quoi. Le même concept s’applique en effet à la fois à de simples agents conversationnels (‘chatbots’) dotés d’un script si-alors, à des brosses à dents intelligentes ou des grille-pains en réseau, ou encore des moteurs de recommandations extrêmement complexes d’un Netflix de même que des processus permettant à Facebook de présenter à l’utilisateur des publicités toujours pertinentes.

Comme on peut le voir, le terme d’intelligence artificielle semble perdre tout son sens. Reste qu’elle est bien présente et ne cesse même de s’améliorer et de s’imposer davantage. A quoi cette technologie est-elle dès lors utilisée et avec quel impact ? Nous dressons le tableau de l’IA en Belgique.

Qu’est-ce que l’IA ?

Comme indiqué ci-dessus, l’IA peut s’appliquer à de nombreux produits technologiques, mais dans le cadre du présent article, nous considérerons que l’IA est le résultat de l’apprentissage machine ou de l’apprentissage profond. Avec tout le respect dû au travail de codage de certains ‘chatbots’ et autres capteurs pour l’électro-ménager, on ne peut pas vraiment parler d’intelligence pour ces appareils.

L’apprentissage machine est une branche spécifique de l’IA qui permet à des ordinateurs de déduire certaines choses, en général en se voyant proposer une base de données d’exemples, l’exemple classique étant des chats qui permet à l’ordinateur d’écrire les règles sur l’aspect d’un chat pris en photo.

Exploration de données

L’essentiel des travaux menés dans notre pays en matière d’intelligence artificielle se situe à la frontière de ce domaine, à savoir le ‘data mining’. L’exemple classique à cet égard est le moteur de recommandations de sites tels qu’Amazon ou Spotify. En Belgique, Beedrop a développé son propre ‘recommandation engine’ en collaboration avec la louvaniste Dataroots. Beedrop est une entreprise technologique qui regroupe des commerçants de Flandre sur une Plateforme de commandes. Elle fournit ensuite les produits chez le client et s’efforce d’optimiser les livraisons en les regroupant. Pour ce faire, la Plateforme tient compte non seulement du schéma d’achat normal du consommateur, mais s’intéresse aussi aux personnes comparables et aux produits similaires achetés régulièrement par le client.

La recherche de modèles dans une montagne de données pour en retirer ensuite de l’intelligence intéresse également les douanes belges par exemple, qui ont mis au point un algorithme pour inspecter un plus grand nombre de marchandises. Les services douaniers des Etats-membres utilisent un logiciel pour réaliser des analyses de risque et ainsi définir quelles marchandises exigent une inspection plus poussée. L’objectif est de réduire la corruption puisque ce ne sont plus des agents qui choisissent quelles marchandises font l’objet d’un contrôle spécifique. Les douanes belges utilisent pour ce faire le logiciel de SAS basé sur près d’un millier de critères de sélection pour décider des marchandises à contrôler de manière plus approfondie. ” Ces critères sont basés sur l’analyse de risque d’une série de caractéristiques, comme le type de marchandise et le pays d’origine, mais bien plus encore. La solution SAS permet de vérifier 6 déclarations par seconde, ce qui représente un gain de temps énorme pour les services concernés “, explique Stephan Legein, conseiller général au département Douanes du SPF Finances. Grâce à cette technologie, les douanes sont en mesure de vérifier jusqu’à 518.000 articles par jour.

De même, la compagnie des eaux potables De Watergroep s’intéresse à l’exploration de données, en l’occurrence pour détecter les fuites dans ses canalisations. Pour ce faire, elle a bâti en 2016 son propre entrepôt de données afin d’améliorer la qualité de ses données et de générer des rapports exacts. Entre-temps, elle entend appliquer ce principe également à l’entretien de son réseau de distribution. ” Les fuites sont un problème majeur pour tout distributeur d’eau, explique Christina Orodel, responsable d’équipe Asset Information Management chez De Watergroep. Quelque 20% de l’eau que nous transportons n’est pas consommée par le client final. ” Qu’il s’agisse de l’eau utilisée pour la gestion des conduites ou pour éteindre des incendies, précise-t-elle, même si une part importante est également perdue en fuites. ” Notre but est de réduire sensiblement cette part en recourant à une technologie intelligente “, dixit encore Orodel. L’entreprise a dès lors installé des capteurs sur ses canalisations pour envoyer à l’entrepôt de données des informations sur les flux d’eau, après quoi ces données sont traitées par logiciel. La solution combine des données historiques, de l’analytique de données et des algorithmes pour détecter les anomalies dans les débits d’eau. De Watergroep affirme que les fuites sont désormais détectées deux fois plus rapidement et qu’elles peuvent être colmatées aussi plus rapidement.

Avec un coup de pouce…

Avec l’apprentissage machine, l’ordinateur apprend par lui-même. ” L’un des domaines où l’apprentissage machine a connu le plus de succès est le ‘supervised learning’, estime Xander Steenbrugge, ‘machine learning engineer’ pour la firme belge ML6. Vous donnez au logiciel des exemples de ce que fait normalement l’homme. Ainsi, vous présentez à la caméra des objets qu’elle doit appren-

dre à reconnaître. Vous pouvez ainsi développer une machine de tri automatique. ” L’apprentissage supervisé consiste donc à présenter à l’ordinateur un très grand nombre d’exemples qui sont ‘tagués’, sachant qu’un opérateur doit à chaque fois indiquer manuellement l’objet présenté sur la photo afin que l’ordinateur apprenne à associer les images.

Un bel exemple à cet égard est l’appli d’installation de Telenet. L’opérateur télécoms envoie quotidiennement des installateurs sur le terrain pour aider des clients à la configuration de leur décodeur. Pour accélérer ce processus, l’agence numérique In the Pocket a développé une solution de réalité augmentée pour aider les utilisateurs à installer leur appareil. Cette appli utilise par ailleurs l’intelligence artificielle. Via la caméra du smartphone, le logiciel peut reconnaître quel câble le client a en main et ensuite indiquer où il doit être branché. Le modèle a été entraîné sur base de milliers de photos de câbles taguées avant d’être testé avec des photos de câbles que le système n’a pas encore vues. S’il reconnaît les bons câbles, c’est que le branchement est correct.

Xander Steenbrugge:
Xander Steenbrugge: “L’IA est comme l’électricité : elle peut être utilisée à de multiples fins.”

… ou seul

La deuxième méthode également utilisée déjà dans des projets belges est le ‘reinforcement learning’. ” L’industrie manufacturière est caractérisée par de longues lignes de production et des machines très volumineuses avec des capteurs qui mesurent tout, ainsi que des processus de fabrication très complexes. Puis lorsque le produit est fini, des tests sont réalisés. D’aucuns imaginent alors d’exploiter l’ensemble des données fournies par ces capteurs pour optimiser ces processus en fonction des spécifications mesurées en fin de fabrication, précise Steenbrugge. Supposons que vous ne sachiez pas exactement la température optimale nécessaire dans un four : si vous disposer de suffisamment de données de capteurs que vous appliquez au produit final que vous désirez obtenir, vous pouvez demander au système la meilleure solution à adopter. ”

Steenbrugge cite l’exemple d’un projet réalisé par ML6 pour Saroléa. ” Cette société fabrique des vélos de course électriques ultra-performants. Le moteur est particulièrement complexe et est fabriqué en interne, mais le gros problème est que Saroléa ne sait pas exactement quand la batterie sera plate. Vu la difficulté de mesurer cette autonomie, nous utilisons l’intelligence artificielle pour analyser l’ensemble des données du moteur – température, électricité fournie, vitesse, etc. – afin de prévoir combien d’énergie la batterie possède encore. Pour ce faire, nous utilisons de très nombreuses données de capteurs et une fois que l’on sait ce que l’on veut prévoir, on peut former un modèle IA pour ce faire. ” L’objectif du projet est également d’intégrer ce système d’exploitation intelligent afin que le vélo puisse exploiter ces données. Ainsi, un vélo qui entame son dernier tour de course pourra y aller à fond mais ne recevra peut-être que 90% de la puissance maximale si le système détecte que le vélo risque de ne pas franchir la ligne d’arrivée. ”

En pratique

Il est clair qu’au fil du temps, l’intelligence artificielle va assumer toujours plus de responsabilités humaines. Dans un premier temps, il s’agira surtout de décisions ‘faciles’. ” On constate souvent qu’une grande partie peut être automatisée, mais que les exceptions, les cas difficiles, sont traités par l’humain, note encore Steenbrugge. Tel est notamment le cas dans le secteur médical, pour la détection de cancers. Vous prenez un vaste échantillon de scans où les radiologues ont indiqué un cancer puis formez des algorithmes à reconnaître ces cas. Dès lors, il est possible d’automatiser les tâches simples et dès que les choses se compliquent, de combiner l’analyse humaine et les algorithmes. On remarque que lorsque l’on met ces deux systèmes côte à côte, ils sont certes comparables, mais font d’autres types d’erreurs. Ainsi, le médecin fait en général des erreurs lorsqu’il a mal dormi, alors qu’un système commet d’autres erreurs, techniques. D’où l’intérêt de combiner les deux approches. ”

Sans doute n’est-ce guère étonnant pour une société spécialisée en apprentissage machine, mais Steenbrugge voit l’avenir de l’IA avec optimisme. ” De très nombreux systèmes vont être bouleversés par l’IA. Il faut s’attendre à voir que chaque entreprise sera différente d’ici 10 ans. L’IA est comme l’électricité : elle peut être utilisée à de multiples fins. Toute entreprise va en avoir besoin pour tout et n’importe quoi. Je crois dès lors que la technologie va tout changer. “

L’IA comme épouvantail

Un thème récurrent lorsque l’on évoque l’IA est : qu’en est-il de HAL et consorts ? Conquérir le monde, comme dans les films, n’est pas encore pour demain, estime Steenbrugge. L’IA qui est aujourd’hui développée est en effet de la ‘narrow AI’, un système qui ne fait qu’une seule chose. Il est encore loin le temps des robots pensants dotés d’une conscience. ” L’IA généraliste, personne ne sait encore comment l’aborder, conclut Steenbrugge. Nous sommes encore loin d’un système IA qui, comme un humain, est capable de combiner de nombreuses choses. Quand on voit les efforts qu’il faut faire pour bâtir un système de ‘narrow AI’, on imagine qu’un système généraliste n’est pas près d’être mis au point. ”

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