Le travail hybride, une question de moment, d’endroit et de nature du travail

Le travail à domicile améliore à court terme la productivité. Mais à mesure qu’il se généralise, les interactions entre collègues diminuent – et il en va de même de la créativité. Le succès du travail hybride sera donc une question d’équilibre.

A l’automne 2021, Microsoft publiait dans la revue scientifique Nature les résultats d’une enquête auprès de 60.000 collaborateurs. L’entreprise y constatait que le télétravail améliore la productivité, mais diminue le nombre d’interlocuteurs professionnels de ces collaborateurs. “C’est précisément ce dernier élément qui donne à penser que l’innovation s’en trouverait ainsi affaiblie”, note Lode Uytterschaut, CEO de Start it X, un groupe d’innovation qui regroupe notamment Start it @KBC et Start it Ventures et dont l’objectif est d’accélérer l’innovation dans les grandes organisations.

Aujourd’hui, le recours à la techno- logie a un impact majeur sur notre manière de travailler et de vivre. Cela pose de nouvelles exigences aux employeurs.” ARNAUD SPIRLET, directeur général de Cisco Belux.

L’étude de Microsoft a servi récemment de point de départ à l’événement de Start it Ventures avec Myriam Broeders, CTO de Microsoft Belux, comme oratrice principale. “Le réseau informel des personnes se réduit à mesure que le travail à distance augmente, estime Myriam Broeders. Les occasions de collaborer étroitement sont moins nombreuses et l’accès à l’information est plus limité. En bref, vous passez inévitablement à côté de certaines opportunités.” Et si la productivité du télétravail augmente à court terme, la créativité baisse sur le long terme.

Paradoxe

La crise du Covid a modifié la manière dont nous gérons le temps et l’espace dans notre travail. “Il en ressort que désormais, le lieu est surtout important pour l’innovation”, ajoute Myriam Broeders. Votre cerveau fonctionne différemment lorsque vous bougez. Durant un brainstorming, vous devez pouvoir être debout, noter des idées sur un écran – numérique éventuellement.” Et lors d’une collaboration à distance, tout cela est nettement moins évident. Ce qui entraîne immanquablement le paradoxe du travail hybride: nous désirons tous télétravailler pour être plus flexibles, mais nous désirons en même temps des contacts plus personnels pour collaborer de manière créative.

Une étude de Cisco sur le travail hybride, menée à l’échelle mondiale auprès de 28.000 répondants d’une grande variété de secteurs, fait référence à ce paradoxe en termes plutôt nuancés. C’est ainsi que l’étude dresse d’abord une image positive du travail hybride: productivité en hausse, meilleur équilibre travail/vie privée, niveau supérieur de bien-être. Dans le même temps, 21% des collaborateurs précisent que leur employeur était déjà bien préparé à passer au régime flexible. “Ce qui se passe à présent est crucial pour l’avenir du travail et du bien-être des travailleurs”, précise Arnaud Spirlet, directeur général de Cisco Belux. Aujourd’hui, le recours à la technologie a un impact majeur sur notre manière de travailler et de vivre. Cela pose de nouvelles exigences aux employeurs. Est-il vraiment nécessaire que chacun se déplace quotidiennement vers son lieu de travail?”

Question de management

“Les entreprises doivent bien réfléchir à l’endroit où elles veulent faire exécuter les activités de leurs collaborateurs”, poursuit Lode Uytterschaut. Et elles ne doivent pas essayer d’imposer un régime trop strict concernant un certain nombre de jours de travail au bureau par semaine. “C’est surtout une question de management. Il s’agit de briser les silos qui existent dans l’entreprise pour permettre les méthodes de travail et de collaboration les plus adaptées.” A ce niveau également, la technologie peut jouer un rôle. “Nous avons mis au point Microsoft VIVA, une plateforme offrant une expérience employé forte, indique Myriam Broeders. Elle exploite notamment des données provenant de Microsoft Teams et Outlook. Il est ainsi possible de gérer la manière de travailler – et de se voir proposer des conseils pour mieux s’organiser et fixer des priorités. De même, au niveau des équipes et de l’organisation, les points de données permettent de comprendre la manière de trouver le meilleur équilibre entre productivité et bien-être en fonction des collaborateurs et des équipes. La plateforme donne accès à des informations, des points de contact et des formations. Ce faisant, les employés ont toutes les cartes en main pour réussir.”

La technologie seule ne permet pas d’innover. L’endroit où les personnes collaborent est également important.” MYRIAM BROEDERS, CTO de Microsoft Belux.

L’un des défis majeurs pour les entreprises consiste à avoir une vue plus globale du travail hybride qu’elles ne l’ont pour l’instant, à savoir de dépasser les frontières de l’organisation. “Le caractère hybride de notre travail évoluera encore énormément”, note Lode Uytterschaut. Aujourd’hui, le travail hybride porte sur un lieu et un temps: nous travaillons en partie à la maison et en partie au bureau. “Mais la nature même du travail peut être hybride. A l’avenir, nous travaillerons peut-être deux jours par semaine pour une grande entreprise, puis deux jours dans une start-up et un jour comme indépendant. On se retrouvera alors dans un environnement où il n’y aura plus de place pour le micro-management.”

Prendre en compte d’inclusion

“Il s’agit là d’une évolution où il conviendra de s’intéresser aussi toujours davantage à la diversité et à l’inclusion, estime Myriam Broeders, et où le diplôme ne sera plus l’élément principal.” Certes, les organisations prenaient déjà en considération les talents et les centres d’intérêt, mais le poids de ces aspects ne fait qu’augmenter. Et il s’agit là d’une évolution qui s’est nettement accélérée avec le coronavirus. Dans le même temps, force est de constater que tout le monde ne gère pas de la même manière l’évolution vers le travail hybride. “Les collaborateurs ne savent pas toujours clairement où et quand ils sont dans les meilleures conditions pour travailler. Il n’y a pas d’accords précis à ce sujet et l’on voit parfois une personne qui dit vouloir travailler au bureau pour mieux collaborer, mais qui se retrouve à regarder des vidéos toute la journée parce que ses collègues sont absents.” Comme quoi le travail hybride exige immanquablement une organisation et des accords précis.

Cet élément ressort d’ailleurs de l’enquête de Cisco. Ainsi, près de 6 répondants sur 10 pensent que le télétravail à temps plein représente un défi pour rester en contact avec leurs collègues et l’organisation. Et trois quarts des collaborateurs interrogés estiment que leur entreprise doit aligner davantage sa politique du travail sur l’inclusion. Cette prise de position se reflète dans les inquiétudes des répondants face à l’évolution de leur carrière. Plus de 4 collaborateurs sur 10 considèrent avoir moins de chances de promotion lorsqu’ils choisissent de travailler à temps plein à domicile. Et près de 6 sur 10 sont d’avis que les travailleurs au bureau ont plus d’opportunités de carrière que les travailleurs à domicile. Dans le cadre du travail hybride, la politique RH doit donc veiller à offrir les mêmes chances à chacun – indépendamment de son lieu de travail physique.

La nature même du travail peut être hybride, par exemple deux jours par semaine pour une grande entreprise, puis deux jours dans une start-up et un jour comme indépendant.” LODE UYTTERSCHAUT, CEO de Start it X

Collaboration physique

Poussés par le coronavirus, les collaborateurs ont largement recherché eux-mêmes la manière d’organiser le travail hybride. Cela étant, le rôle de l’employeur reste important. Reste que très souvent, cet employeur était également en quête de support, certainement lorsqu’il souhaite mettre en place de nouveaux modes de travail. “L’emplacement physique est très important pour stimuler l’innovation, prétend Pieter Neels, head of Growth chez Start it Ventures. L’innovation s’appuie en effet très souvent sur une petite équipe qui se réunit physiquement dans un hub. C’est d’ailleurs également ce que l’on constate dans les grandes entreprises: les équipes d’innovation se distancient – littéralement – physiquement de l’entreprise pour pouvoir travailler plus rapidement et ne pas être tenues aux règles d’une grande organisation.”

D’ailleurs, c’est précisément ce qui a motivé la création par Microsoft de son Technology Centre de Zaventem. “La technologie seule ne permet pas d’innover, analyse Myriam Broeders. C’est pourquoi le Technology Center a été conçu de manière totalement différente qu’un bureau classique. Nous proposons un environnement stimulant, où les collaborateurs peuvent s’entretenir avec les clients à propos de leurs défis et où la technologie vient en support.” Et les observateurs de s’attendre à voir les entreprises poursuivre l’évolution de l’agencement de leurs bureaux. “Beaucoup d’entreprises avaient déjà entamé ce type de réflexion avant le Covid”, note Lode Uytterschaut.

La recette de Steve Jobs

Cela étant, il reste très délicat d’évaluer le nombre de mètres carrés de bureaux dont une entreprise a besoin et le type d’agencement nécessaire pour stimuler l’innovation. “Il ne suffit plus de prévoir des poufs et une table de baby-foot, sourit Lode Uytterschaut. Mais sans doute faut-il d’abord appliquer la recette de Steve Jobs: regrouper les toilettes, salles de réunion, zones de détente et coins café séparés les uns des autres. Les gens devront alors un peu se déplacer et ont alors davantage de chances de rencontrer des collègues par hasard. Les moments de sérendipité sont nécessaires pour stimuler l’innovation.”

MYRIAM BROEDERS
MYRIAM BROEDERS© Jordi Van den Broeck
LODE UYTTERSCHAUT,
LODE UYTTERSCHAUT,© Wim Kempenaers

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