Le coronavirus met-il à mal l’IA ?

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Magali De Reu Magali De Reu est journaliste indépendante.

Il n’y a pas que l’homme qui soit impacté par la crise du Covid-19. Suite au changement soudain de nos comportements d’achat notamment, même les modèles d’intelligence artificielle sont totalement faussés.

La pandémie du coronavirus a bouleversé en profondeur nos comportements d’achat. Sur les plateformes d’e-commerce telles qu’Amazon ou bol.com, des produits en principe populaires comme les housses pour smartphones et les gadgets technologiques cèdent la place aux masques, gel hydroalcoolique et autres rouleaux d’essuie-tout. Autre tendance subite : les achats en volume augmentent, ce qui fait rapidement fondre les stocks. Au point qu’Amazon s’est sentie obligée, elle qui promeut normalement ses propres produits maison, de mettre également en avant des produits ‘corona’ d’autres marques.

Mais le système des recommandations n’a pas été le seul à être impacté. Ainsi, le logiciel qui assure, via l’intelligence artificielle, la gestion des stocks, le marketing et la détection des fraudes a suscité un gigantesque chaos. Avec toutes les conséquences que l’on imagine puisque les retards de livraison sont devenus monnaie courante en mars et avril. Pire encore, nos comportements d’achat ont eux aussi changé. Si, au début du confinement, les clients achetaient surtout de grandes quantités de papier toilette, ils recherchent désormais d’abord des jeux de société et des appareils de fitness.

Plus globalement, c’est le paysage de la mobilité qui s’est totalement transformé. Ainsi, les données de circulation n’étaient absolument plus en phase avec la réalité. Votre appli Waze favorite ne sait évidemment pas que, comme tout un chacun, vous êtes confiné à la maison. Mais la situation devient vraiment problématique lorsque notre propre sécurité se trouve en danger. Même les prévisions concernant la vitesse du vent, lesquelles sont influencées par la présence des avions, sont faussées par la paralysie du secteur aérien.

Bref, l’intelligence artificielle n’était nullement préparée au Covid-19. Pourtant, la technologie est étroitement associée à notre vie quotidienne. D’où cette question : pouvons-nous encore faire machine arrière, et comment ?

Théorie du cygne noir

Selon Jonathan Berte, CEO et fondateur du spécialiste de l’IA Robovision, les algorithmes ne sont tout simplement pas adaptés à la théorie du cygne noir telle que la décrivent différents économistes. ” Il est certes possible de ‘miner’ les données de cygnes noirs du passé [une technique utilisée pour analyser des données et mettre en lumière de nouveaux types de relations, NDLR], mais un tel cygne est fondamentalement différent, explique Berte. Durant une pandémie, l’homme affiche des comportements différents de ceux qui prévalent par exemple durant une guerre. En principe, les modèles d’apprentissage machine sont bâtis pour s’adapter à ces comportements. Mais si les données d’entrée sont trop différentes de celles sur lequel le modèle a été entraîné, le système perd de sa précision. ”

Durant une pandémie, l’homme affiche des comportements différents de ceux qui prévalent par exemple durant une guerre.

Jan Van de Poel, fondateur de la place de marché IA SeeMe.ai et cofondateur en son temps de la ‘scale-up’ Flow Pilots, envisage surtout l’aspect pratique. ” Je constate que les entreprises s’activent pour l’instant à construire et à mettre en production des modèles d’IA alors même qu’il faut commencer à envisager les choses dans leur ensemble. Chaque modèle d’IA nécessite un cycle permanent d’amélioration. Il ne s’agit jamais d’un ‘fire and forget’, mais d’une question d’intervenir à temps où c’est nécessaire. La pire chose à faire est d’avoir une confiance aveugle dans l’intelligence artificielle. ”

Plusieurs exemples fâcheux, et notamment le robot de recrutement sexiste d’Amazon, confirment ces propos. Et si elle ne démontrera sans doute pas le manque de fiabilité de l’intelligence artificielle, cette crise prouvera que les hommes l’utilisent mal. ” Espérons que la crise du Covid-19 nous ouvre les yeux. Et faire en sorte que des projets d’automatisation poussée ne manquent pas leur cible. ”

Atouts humains

Pas question évidemment de signer l’arrêt de mort de l’IA, mais de se demander ce qui arrivera après ce ‘phénomène du cygne noir’. Quel peut encore être le niveau de précision d’un système – pas uniquement en période de crise, mais par la suite ? Tant sur le plan économique que psychologique, nous sommes désormais confrontés à pas mal d’incertitudes. Ce qui semble peu à peu évident est que la technologie devra plus que jamais être au service de l’homme, et non l’inverse.

” Si personne n’était préparé à une crise d’une telle ampleur, un homme en chair et en os serai toujours plus flexible qu’un algorithme, croit savoir Berte. Quoi qu’il en soit, un système autoapprenant aura toujours besoin d’un certain niveau de commande par un être humain. Une organisation ou une institution a donc tout intérêt à disposer d’une équipe spécialisée qui puisse constamment confronter les données générées aux réalités du terrain. Mieux encore, des données fiables sont un must si l’on évite que l’on devienne sur le plan économique la Grèce du Nord. Qui plus est, il s’agit là de l’occasion par excellence pour les scientifiques de la donnée de reprendre les manettes et de se pencher sur les potentialités offertes par certaines autres techniques d’apprentissage machine parfois moins connues. “

Vitesse

Il est vital d’évoluer rapidement dans ce sens, d’autant que ces techniques d’apprentissage machine peuvent apporter des garanties de fiabilité en situation de crise. Berte évoque ainsi notamment le ‘few-shot learning’, une technique qui permet à des systèmes de devenir plus intelligents sans beaucoup d’apport. Aujourd’hui, des systèmes peuvent déjà être entraînés à faire des prévisions précises sur base d’un volume limité de données. Autre possibilité, le ‘transfer learning’ qui permet de réduire les durées de formation des systèmes et le nombre de points de données nécessaires. Sachant que l’IA nous aidera toujours plus à prendre des décisions importantes, il faut rapidement les mettre à profit. ” En fait, il est dommage qu’une telle crise ait dû éclater pour se rendre compte que l’intelligence artificielle n’est pas une technologie ‘one size fits all’ “, regrette Berte.

La pire chose à faire est d’avoir une confiance aveugle dans l’intelligence artificielle.

” Ce qui est encore trop souvent sous-estimé face à la vitesse et à l’efficacité des algorithmes intelligents, c’est l’explicabilité, ajoute Van de Poel. Dans de nombreux modèles, et notamment la reconnaissance d’images et le NLP, un système peut expliquer pourquoi il fait certaines prévisions. C’est important pour pouvoir bâtir des modèles plus performants et plus robustes. ”

Mais l’importance de la vitesse est tout aussi grande dans les applications à base IA de lutte contre le virus lui-même. Rien que dans notre pays, de nombreuses innovations ont vu le jour ces dernières semaines dans des domaines très différents. C’est ainsi que Robovision utilise son logiciel d’IA pour contrôler à l’avenir les scans pulmonaires au niveau du Covid-19. Un autre exemple est l’affichage thermique de la société ouest-flamande Aptus que les entreprises peuvent utiliser pour contrôler la santé de leurs collaborateurs à l’entrée des bâtiments. L’affichage ‘walkthrough’ est capable de mesurer sans contact la température corporelle en quelques secondes. ” Nous constatons nous-mêmes aussi que cet outil exige un contrôle permanent, précise Alexander Vanwynsberghe, fondateur et directeur général d’Aptus. Pas besoin d’être une firme médicale pour vérifier l’évolution de la contamination. ”

La crise du Covid-19 se transformera-t-elle en opportunité et permettre à notre société de mieux être soutenue par la technologie ? Seul l’avenir nous le dira…

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