Faut-il se ruer sur le metavers?

© Eva Lynen/Data News
Pieterjan Van Leemputten

“Le métavers sera virtuel, mais l’impact sera bel et bien réel”, peut-on lire dans plusieurs annonces de Meta. Mais qu’en est-il aujourd’hui même dans nos mondes virtuels?

C’est comme les jeunes et le sexe: tout le monde en parle et veut le faire, mais peu le font réellement et moins encore savent de quoi il est question. Il s’agit là d’un cliché souvent évoqué pour décrire les nouvelles tendances technologiques, et le métavers ne fait pas exception. Tout d’abord, précisons qu’il n’y a pas qu’un seul métavers. En fait, il s’agit d’un terme générique et d’une appellation en vogue pour définir un ensemble de mondes virtuels qui n’ont rien de nouveau. Car Second Life (2003) et World of Warcraft (2004) étaient également des mondes virtuels où les gens pouvaient interagir entre eux et qui tomberaient également sous la notion (très large et confuse) de métavers.

Pour l’instant, il s’agit encore toujours d’expérimentations pour voir ce qui fonctionne vraiment.

Cela étant, devez-vous aujourd’hui, en tant que CIO, développeur, entreprise de point ou chercheur d’or, tout laisser tomber pour vous concentrer exclusivement sur le métavers? Sans doute pas, même s’il ne faudrait pas y voir simplement une déclinaison de Meta ou un effet de mode. “Il faut surtout que cela ait du sens pour votre activité”, estime Bruno Koninckx, chargé notamment chez Thomas More de l’analyse de l’évolution du métavers. “Jusqu’à présent, nous avons surtout examiné des sites Web en 2D, mais nous allons désormais nous pencher sur certains éléments qui seraient plus intéressants dans la 3D. Vais-je acheter des vis pour ma tondeuse dans le métavers? Non. Mais peut-être vais-je d’abord regarder en 3D la tondeuse que j’envisage d’acheter. Pour l’instant, il s’agit encore toujours d’expérimentations pour voir ce qui fonctionne vraiment.”

Cette phase d’essais-erreurs est également identifiée par Steffen Brans, CEO d’Appwise et de sa maison mère Wisemen. Au printemps, il a fait la une de l’actualité en étant la première société belge à ouvrir un bureau dans le métavers, plus spécifiquement dans le Decentraland. A son tour, il tient à préciser que le métavers a un avenir, sans savoir vraiment de quel avenir il s’agit.

“Nous employons de nombreux collaborateurs hybrides: tout le monde ne travaillera plus toujours au bureau, ce qui nous a donné l’idée d’ouvrir un bureau virtuel et Decentraland apparaissait comme étant le plus proche de la ‘vie réelle’, explique Brans. Notre projet était également d’y organiser des événements et des activités, voire des ateliers avec les clients, mais en pratique, nous avons dû constater que cette approche n’offre pour l’instant que peu de valeur ajoutée par rapport à un appel vidéo. Certainement si vous voulez réunir de 50 à 100 personnes, ce qui implique une dynamique très spécifique. Reste que cela a été une expérience intéressante qui nous a permis de tirer certaines leçons. En tant que développeur d’applis, nous sommes très orientés numérique et notre ambition est de conseiller et d’accompagner les clients dans leurs premiers pas sur la voie du métavers.”

Concrètement, l’initiative était également un peu prématurée. “Force est de constater que nous n’en sommes qu’aux prémices. Pour l’instant, le groupe cible qui se promène sporadiquement dans le Decentraland n’est pas notre cible, mais des jeunes américains ou asiatiques. Ces pays sont déjà bien plus avancés que l’Europe. Du coup, on ne rencontre par exemple pas de personnes qui passent par hasard devant notre boutique. Cela étant, on remarque qu’il est possible d’inciter des passants à nous rendre visite.”

Pourtant, Brands ne veut pas parler d’expérience ratée. “C’était une bonne chose pour le marketing, mais cela nous incite à réfléchir plus avant en interne ainsi qu’avec nos clients. La prise de conscience est désormais plus grande et nous accumulons de l’expérience qui pourra nous servir par la suite, par exemple dans notre studio de jeux où notre activité s’apparente davantage au métavers.”

Tester ce qui est susceptible de fonctionner constitue un défi majeur, tout comme votre boutique Web ne pourra être la copie conforme de votre magasin physique. Un autre aspect est celui de l’expérience. Bruno Koninckx: “Si vous êtes fan d’un groupe qui ne donne que des représentations à New York, mais que vous ne voulez pas dépenser un millier d’euros pour y assister, vous pourrez peut-être vous payer un casque à 200 ? et acheter un ticket à un prix inférieur pour suivre le concert dans un environnement qui vous donnera la sensation d’être sur place, par exemple avec des caméras à 360°. Un peu comme Kinepolis qui diffuse des opéras en direct du Metropolitan de New York. Cela n’attire pas le grand public, mais cela donne aux amateurs d’opéra l’occasion de voir des stars mondiales sans devoir se déplacer. Avec un bon projecteur et un casque, on peut avoir la sensation de suivre ‘the next best thing’.”

La jeunesse actuelle

Peut-être penserez-vous que le métavers n’est pas fait pour vous et si nous estimons correctement l’âge moyen du lecteur de Data News, cette réaction est sans doute pertinente. Si acheter un vêtement virtuel ne vous dit rien, voire assister un vendredi à un concert virtuel, vous ne faites probablement pas partie de cette génération qui se tournera massivement vers le métavers.

“On verra apparaître une génération du métavers, ce qui ne vous obligera sans doute pas à tout lui concéder. Mais peut-être est-il intéressant de cartographier cette génération, d’analyser leurs comportement et de voir comment votre entreprise peut réagir”, analyse Dado Van Peteghem, entrepreneur. Depuis plusieurs années déjà, il conseille des entreprises dans leur transformation numérique et a fondé voici peu Imagin3, une société installée à Dubaï et à Gand, et qui identifie les potentialités du métavers.

“Nous avons grandi avec le Game Boy, Doom et Wolfenstein, et nos enfants grandiront avec Roblox, Minecraft et Fortnite. Et eux vont acheter des ‘skins’ et des armes avec leur identité numérique. Le secteur de la mode entrevoit d’ores et déjà certaines potentialités. Ainsi, Tommy Hilfiger a conclu à cet égard un partenariat avec Ready Player Me qui permet d’acheter des vêtements Tommy Hilfiger pour habiller son avatar. De telles plateformes vont devenir toujours plus attractives pour la future génération dans la mesure où celle-ci attache davantage d’importance à l’identité numérique. Au cours des 5 à 7 prochaines années, les évolutions seront très marquées.” Cela étant, la tendance générationnelle n’est pas la seule à jouer un rôle à ce niveau. “La puissance de calcul augmente, les casques sont plus nombreux et de meilleure qualité, comme le prouve Apple qui travaillerait concrètement dans ce domaine. Le fait que des géants de la technologie y investissent des budgets R&D importants est à mes yeux la preuve que les choses vont bouger.”

Van Pegethem entrevoit trois tendances majeures: le comportement de la jeune génération, le fait que des développeurs s’intéressent aux mondes virtuels et les grands fonds d’investissement qui y consacrent des budgets importants. “Quant à savoir si le résultat final sera un Facebook avec son Horizon Worlds ou un environnement plus décentralisé, la question reste posée.” Reste qu’il est raisonnable, mais clair pour tout qui observe le métavers d’un oeil méfiant: “Mettez à profit ces deux prochaines années pour observer ce qui se passe ainsi que pour réaliser des expériences et des tests.” Et Van Pegethem d’ajouter: “Take only what you need from it!” La question n’est pas de savoir si un Colruyt doit ouvrir une boutique dans le métavers, mais bien: quel sera le comportement de la génération métavers, quelle est l’évolution du monde 3D et quels sont les éléments que l’on peut appliquer dès à présent, peut-être même sans casque de RV. Certaines entreprises pourront y retrouver des applications intéressantes, d’autres absolument aucune. C’est un monde qui est encore en plein déploiement.”

Des avatars d'Horizon Worlds avec leur bulle
Des avatars d’Horizon Worlds avec leur bulle© Oculus

Toujours selon Van Peteghem, le fait que tout le monde ne soit pas d’emblée convaincu se retrouvait également dans des révolutions et évolutions précédentes. “C’est ainsi qu’au niveau de l’e-commerce, de nombreuses personnes estimaient que personne n’aurait un jour une boutique en ligne. Et lorsque Twitter est arrivé, beaucoup se demandaient s’ils devaient partager des photos de leur petit-déjeuner. On assiste désormais à des réactions similaires. J’espère donc surtout que les entreprises feront preuve d’ouverture d’esprit et tireront les leçons des vagues technologiques précédentes.” Et il établit également un parallèle avec le processus actuel de transformation numérique. “Au départ, on entendait surtout les récits d’acteurs comme Tesla, Airbnb ou Uber et il a fallu une dizaine d’années pour que les principes percolent jusqu’au coeur des entreprises. C’est la même évolution qui devrait se produire.”

Shopping dans Fortnite

Certes, il peut paraître évident qu’une entreprise technologique comme Appwise investisse dans le métavers. Mais pour une chaîne de magasins, la chose peut être moins évidente. Pourtant, JBC a fait en début d’année ses premiers pas dans le monde virtuel avec sa propre île dans Fortnite. Les joueurs peuvent y visiter une boutique virtuelle où un défi leur sera proposé. L’ambition n’est pas de vendre des chemises ou des pantalons, mais d’améliorer la visibilité auprès du public cible.

Cela étant, JBC ne dévoile pas si cette approche a un impact direct sur les ventes, mais Van Peteghem estime que l’impact indirect sera bien réel. “Il n’est pas question de retour sur investissement, mais bien de risque de non-investissement. Je ne m’attends pas à ce que leurs ventes explosent via Fortnite, mais JBC pourra ainsi montrer qu’il suit son public. Dans le même temps, elle se positionne comme une entreprise innovante et entre en contact avec des personnes qui investissent dans ce domaine, ce qui lui permet d’acquérir de l’expérience. Le bénéfice à la marge est ici nettement supérieur à l’investissement consenti dans un tel projet.”

Tous ensemble

Reste évidemment cette question centrale: comment ce monde va-t-il évoluer? Se retrouvera-t-on demain dans un métavers dominé par Meta ou Microsoft? Ou en arrivera-t-on à permettre à un avatar de passer en toute transparence d’un métavers à un autre? Autant de questions dont la réponse passe par la standardisation, une standardisation qui n’est aujourd’hui encore pas concrète, mais qui évolue (voir encadré). Dans les environnements de jeux essentiellement, cette compatibilité dépend souvent du type de moteur de jeu utilisé. Par ailleurs, un objet ou un personnage dans un environnement ‘en blocs’ comme Minecraft est totalement différent de celui dans Fortnite ou Horizon Worlds, le monde virtuel de Meta.

“On constate que le secteur apprend de ses erreurs. De grandes entreprises comme Meta veulent également collaborer à la standardisation. Le fait de pouvoir utiliser leur casque indépendamment d’un compte Facebook est encourageant. Espérons que l’ensemble du secteur comprendra que le modèle Apple [très fermé, selon les règles d’un seul acteur, NDLR] ne peut pas fonctionner. A l’époque du HTML, il fallait s’assurer que son site fonctionne pour chaque navigateur. On devrait à nouveau connaître le même type d’évolution, mais espérons-le de manière plus positive.”

Et Van Peteghem de conclure: “Les vrais partisans ne veulent pas d’un métavers à la Meta ou Microsoft, mais bien d’un environnement ouvert. Facebook entend prendre près de 50% de commission sur les opérations dans son monde virtuel, mais de nombreux développeurs n’en veulent pas. J’espère que les Meta de ce monde s’en rendent compte et ne chercheront pas à tout fermer au profit de leur propre écosystème.”

Standardisation en vue

Le niveau de compatibilité entre les environnements virtuels du métavers dépendra en grande partie des standards. A ce niveau également, les choses avancent depuis quelques mois. C’est ainsi qu’au début de l’été, le Metaverse Standards Forum a annoncé que pas moins de 37 grands noms collaboreraient à cette initiative pour aligner à la fois la terminologie et la technologie.

Meta, Microsoft, Epic Games, Nvidia, Qualcomm, Sony Interactive Entertainment, le moteur de jeu Unity, Adobe, Huawei, Blackshark AI (connu pour son Microsoft Flight Simulator 2020), mais également le W3C (World Wide Web Consortium) et même Ikea siègent au sein de cet organisme de standardisation.

Dans le même temps, plusieurs médias ont fait remarquer que certains acteurs étaient étrangement absents. C’est ainsi que l’on ne voit (toujours) pas Niantic (Pokémon Go) ou Roblox qui sont étroitement liés à la RA et aux mondes virtuels. De même, Apple ne figure pas sur la liste, bien que l’entreprise soit souvent partie prenante dans les initiatives sectorielles.

Le 1er novembre, Thomas More lancera le projet de recherche Vlaio Presence, dans le cadre duquel il souhaite explorer avec les entreprises de médias au sens large ce que les mondes virtuels peuvent signifier pour le secteur médiatique flamand au cours des deux prochaines années. Plus d’infos sur www.thomasmore.be/presence ou sur bruno.koninckx@thomasmore.be

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