Le grand débat sur le cloud: ‘Un projet réussi dans le nuage repose toujours sur des partenaires locaux’

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Le ‘cloud’, c’est la norme. Les entreprises aspirent à des applications qui soient disponibles toujours et partout. Voilà pour la théorie. Mais où en est-on vraiment dans notre pays? Place au débat entre Oracle, Microsoft et VMware.

Selon un questionnaire de Beltug, 38% des entreprises belges appliquent une stratégie accordant la priorité au nuage. Que représente cette proportion? Est-elle élevée ou pas?

Jan Ronsse, managing director chez Oracle Belux: ‘Je suis franchement surpris. Selon moi, cette proportion devrait être nettement plus grande. Lorsque des entreprises prennent aujourd’hui de nouvelles initiatives, cela se passe quasiment toujours dans le cloud. Il en va bien entendu différemment pour les applications héritées. Dans ce cas, il convient de trouver un compromis et de vérifier si une migration vers le nuage offre bien des avantages, notamment sur le plan des coûts. Mais si on considère les nouveaux projets, la proportion ‘cloud-first’ devrait à coup sûr être supérieure.’

Rudy Van Hoe, sales director EMEA chez Microsoft Azure: ‘Au niveau du nuage, la Belgique n’a pas été pendant longtemps une adepte de la première heure. Mais ces dernières années, on enregistre une nette accélération, y compris sur le plan gouvernemental. On observe actuellement de très nombreux logiciels cloud dans le secteur public. Et étonnamment, la décision de migrer vers le nuage n’est très souvent pas prise par le CIO.’

Hervé Renault, VP Cloud Sales EMEA chez VMware: ‘Dans le monde, septante millions d’applications tournent sur VMware, dont dix millions dans le nuage. On assiste réellement à une accélération. Alors qu’avant, nous ne travaillions qu’avec AWS, nous proposons à présent VMware sur toutes les grandes plates-formes cloud.’

Comment les acteurs cloud en vue se comportent-ils dans le contexte géopolitique? En raison du conflit en Ukraine, y a-t-il un besoin de garanties en matière de souveraineté des données ou d’emplacement géographique pour leur stockage?

Jan Ronsse: ‘Ces aspects du nuage étaient depuis assez longtemps déjà à l’agenda. La guerre n’y a en soi rien changé. Pour répondre aux besoins de nos clients européens, nous avons été les premiers à annoncer un EU sovereign cloud. Nous offrons ainsi la garantie que les données demeurent au sein de l’UE, dans des centres de données n’occupant que des collaborateurs de l’UE.’

Rudy Van Hoe: ‘L’Europe de l’est se caractérise par une maturité moindre sur le plan du nuage. Nous avons aidé des entreprises en Ukraine à en retirer leurs centres de données, notamment via VMware sur Azure. Certes, cela a dû aller vite! On observe que les entreprises de cette zone – de Pologne par exemple – se tournent à présent vers le nuage de manière accélérée, essentiellement parce qu’elles réfléchissent aujourd’hui davantage à la continuité de leurs activités.’

Hervé Renault: ‘Le conflit en Ukraine démystifie le cloud. Si le besoin est important, cela peut aller vraiment vite, comme on l’a vu. En très peu de temps, nous avons évacué des milliers d’applications et ce, tant chez les grands que chez les petits clients. Donc non, il ne faut pas deux ans pour parcourir le trajet vers le nuage.’

Comment l’utilisation du nuage évolue-t-elle en termes de cloud privé, public et hybride? Et cette évolution se passe-t-elle différemment en Belgique qu’ailleurs?

Hervé Renault: ‘Dans la pratique, les entreprises recourent à plusieurs multiclouds. Un seul fournisseur cloud s’avère souvent dominant, avec un second nettement plus petit, et ainsi de suite. Assez ironiquement, on voit ainsi émerger différents silos: le phénomène que la virtualisation venait précisément d’extirper du centre de données. C’est ce à quoi nous aspirons aujourd’hui aussi dans le nuage avec VMware: qu’une entreprise fasse tourner ses applications sur VMware, quel que soit le nuage en arrière-plan.’

Rudy Van Hoe: ‘Comme vous savez, nous sommes occupés en Belgique à construire trois nouveaux centres de données. Si on examine l’évolution de l’utilisation du cloud dans notre pays, je peux déjà être rassurant. Chez nous, il n’est pas question de chaos. Nous ne sommes pas des adeptes précoces, mais des suiveurs. Cela n’enlève en rien au fait que le trajet vers le nuage exige un changement de programme. Nous recommandons dès lors de commencer modestement et de rester à l’écart d’un big bang. L’évolution vers le nuage a du reste modifié aussi fondamentalement la façon dont fonctionne Microsoft. Avant, le client payait pour une licence, alors qu’aujourd’hui, il paie pour ce qu’il utilise. Aider les clients est à présent notre principale mission.’

Jan Ronsse: ‘Cela engendre des collaborations inédites à ce jour, comme entre Azure et Oracle. On observe à présent des situations de co-hébergement avec une application tournant sur Azure et une base de données sur Oracle. Chez Oracle, nous avons d’ailleurs toujours été des précurseurs. L’entreprise a évolué du rôle de fournisseur de solutions sur site à celui d’acteur cloud. Mais nous ne forçons cependant pas nos clients à choisir. Ce que nous proposons, c’est en principe toujours équilibré, peu importe que ce soit sur site, dans un environnement hybride au dans un nuage public.’

Rudy Van Hoe: ‘Avant, nous nous concurrencions tous. Cela a été également modifié par le nuage. Nous collaborons davantage. Et ce sont les clients qui nous obligent à le faire. Ils souhaitent par exemple que cette combinaison d’Azure et d’Oracle soit possible.’

Pourquoi Oracle n’oblige-t-elle pas les clients à utiliser Oracle Cloud Infrastructure (OCI) pour tout?

Jan Ronsse: ‘Le client aspire au meilleur cloud en tant que top-solution. Pour Oracle Database, c’est OCI, mais que le client veut combiner avec d’autres possibilités. Nous sommes à l’écoute de nos clients. Les entreprises ne font du reste pas tout dans un seul et même nuage. Nous respectons cela aussi.’

‘Le conflit en Ukraine démystifie le cloud’

Le nuage n’est pas la panacée universelle. Certaines activités sont impossibles sans une puissance de calcul et un stockage de données locaux. Comment l’edge computing (informatique en périphérie) s’inscrit-il dans la vaste histoire du cloud?

Hervé Renault: ‘Il convient d’entreprendre des actions judicieuses au bon endroit. Très souvent, un point médian s’avère nécessaire. Nous veillons à ce que VMware puisse tourner partout, y compris en périphérie.’

Rudy Van Hoe: ‘Avec Azure Edge, nous portons une partie d’Azure dans le centre de données local et en périphérie. C’est donc aussi possible, voire parfois nécessaire. Pour les véhicules autonomes par exemple, l’edge computing sera indispensable.’

Jan Ronsse: ‘Cela dépend en grande partie du type d’activité dont on parle, mais dans certains cas, nous prévoyons une dedicated full cloud region chez le client. Certaines entreprises en ont tout simplement besoin.’

Quel rôle le département local d’un hyperscaler remplit-il? Les entreprises belges peuvent acheter en ligne n’importe quel service chez les acteurs en vue. Subsiste-t-il dès lors encore de l’espace pour du local?

Jan Ronsse: ‘Bien sûr! L’organisation locale possède une grande valeur ajoutée. Nous fonctionnons dans un people business. Les gens veulent parler à d’autres gens. Il est question d’une relation de confiance. Pour réussir, il faut recourir à du personnel local pour vos projets, j’en suis convaincu.’

Hervé Renault: ‘Tout à fait d’accord. Qui plus est, dans le cloud, cet aspect local ne fait que gagner de l’importance. Vous devez connaître de fond en comble le business case de votre client, afin de pouvoir lui offrir le solution ad hoc. Lorsqu’un service dans le nuage ne fonctionne pas, le client peut y remédier d’un claquement de doigt. Voilà pourquoi le support local est si important. Nous travaillons dès lors de plus en plus avec une expertise verticale.’

Rudy Van Hoe: ‘Nous sommes certes une entreprise internationale, mais finalement, il n’y a que l’aspect local qui s’avère réellement pertinent. Il n’y a qu’ainsi que cela fonctionne. Voilà pourquoi nous optons chez Microsoft pour des collaborateurs locaux et pour une stratégie basée sur des centres de données locaux.’

Hervé Renault: ‘La question que vous posez – quel rôle un département local joue-t-il? – est particulièrement intéressante. Notre secteur évolue vers une tout autre approche. Chez un fournisseur de services dans le nuage, la réussite du client est ce qu’il y a de plus important aujourd’hui.’

Qu’en est-il du vendor lock-in (enfermement propriétaire)? Lors de l’émergence du nuage, les esprits critiques mettaient déjà en garde contre le danger de s’en tenir à un fournisseur et de ne plus en sortir. Cette crainte est-elle toujours d’actualité?

Hervé Renault: ‘Avant, les éditeurs de logiciels privilégiaient nettement plus l’enfermement que maintenant. Dans le nuage, il est plus facile de se libérer d’un fournisseur qu’à l’époque, lorsque tout tournait dans votre centre de données sur site.’

Rudy Van Hoe: ‘Les adeptes précoces souffraient des belles promesses avancées par les fournisseurs, c’est vrai. Mais tout un chacun en a tiré les leçons. Si vous débutez modestement aujourd’hui, cela se passe tout à fait différemment qu’aux premiers jours du cloud.’

Le nuage s’avère important aussi pour l’économie belge, entend-on souvent. Mais est-ce bien le cas? Le budget que les entreprises belges consacrent au nuage, ne prend-il pas la direction des grands fournisseurs américains?

Jan Ronsse: ‘Il ne faut pas le voir ainsi. Nous créons aussi des emplois locaux et payons nos impôts ici.’

Rudy Van Hoe: ‘On peut malaisément reprocher aux entreprises américaines d’être innovantes. En tant que Belge, je regrette évidemment qu’aucune grande entreprise IT ne se soit imposée en Belgique et, par extension, en Europe, exception faite de SAP. C’est entre autres une question d’évolution de la grandeur d’échelle. Même pour une entreprise télécom européenne, il est difficile de faire quelque chose à une échelle comparable à celle des grands acteurs américains.’

Herve Renault: ‘On peut aussi considérer cette échelle dans une autre perspective. VMware dispose de 2.500 partenaires locaux. Ce faisant, nous représentons aussi un gros volume et sommes complémentaires des hyperscalers. Une grande partie de la valeur économique se situe dans l’écosystème.’

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