Luc Blyaert

Une simple feuille de papier

Luc Blyaert était rédacteur en chef de Data News

Les librairies sont-elles donc condamnées à disparaître de notre paysage? Probablement que oui. Plus tard, nous dirons à nos enfants: “Tu vois là il y avait autrefois un libraire.” “Un quoi?”

Frank et Dominique de la librairie ‘t Spieke de Kampenhout jettent le gant. Voilà comment disparaît le dernier vendeur de gazettes du village. Trop peu de marges, selon eux, sans compter que l’on joue toujours plus au Lotto en ligne et que l’on fume de moins en moins. Il n’y a plus de raison de se rendre chez le libraire, même si le duo avait compensé la perte de papier par la vente de sandwiches. Les librairies sont-elles donc condamnées à disparaître de notre paysage? Probablement que oui. Plus tard, nous dirons à nos enfants: “Tu vois là il y avait autrefois un libraire.” “Un quoi?”

Moi non plus, je ne me rends pas chaque semaine dans une librairie. Et pourtant, je suis fils d’imprimeur. Notre père travaillait dans une petite imprimerie de Woluwe Saint Lambert, chez Wannes de Tisjke Spiek. Bas et haut de casse, les capitales au-dessus, en plomb encore bien. Tout petit, je fus donc nourri au lait maternel et à l’encre d’imprimerie. C’est dire si les lettres, cela me connaît et pourquoi j’étais prédestiné à écrire.

Les imprimeries existent certes encore. Elles représentent un marché de 2,3 milliard d’euros en Belgique et occupent 12.000 personnes, soit 3.000 de moins qu’il y a 5 ans. Elles sont cependant des dizaines à mettre chaque année la clé sous le paillasson, mais le papier, lui, n’a pas disparu. Pas encore. Chaque année, IKEA distribue ainsi son catalogue auprès de 212 millions de ménages dans le monde et supplante ainsi la Bible. Et dire que ce catalogue traîne parfois des semaines sur la table du salon… Un négociant en équipement de jardin dans la région d’Huldenberg a décidé l’an dernier de ne plus faire imprimer son dépliant, parce que ses clients pouvaient quand même découvrir sa gamme sur son site web! Il a observé directement un net recul de son chiffre d’affaires. C’est que tout le monde n’a pas accès aux sites web.

Le papier ne disparaîtra jamais, estiment la plupart des éditeurs. Il sera en effet toujours bien lu et aura le même ‘look and feel’ avec le même contenu. Il va cependant se numériser en un média d’information dépliable en temps réel. Ce ne sera plus un journal en tant que tel, mais pas non plus un magazine. Cette notion disparaît. Les journaux sont déjà devenus des magazines. Des magazines du week-end. Alors que les revues se rapprochent des journaux avec une offre en ligne étoffée. L’on ne sait pas encore qui va l’emporter. Il est probable que nous allons assister à des consolidations et à des collaborations poussées, sans que l’on sache vraiment alors s’il s’agira d’un journal ou d’un magazine. Pour autant que son contenu soit fort et distinctif. Les mêmes historiettes passe-partout, ce sera intenable. Le lecteur lui aussi voudra être ‘content’ de son ‘content’, n’est-ce pas?

Le média d’information numérique existe aujourd’hui déjà, mais sous une forme brute: la tablette. Avant 2020 encore, elle se muera en une toute fine ‘feuille de papier’ à ranger dans le veston et exploitant la 3G, la 4G, voire la 5G. Toujours active. Envie de savoir ce que devient Didier Bellens chez Belgacom? Vous aurez directement droit à sa dernière interview, aux récentes infos et dévoilements. Et la vidéo des larmes de Steve Ballmer lors de son discours d’adieu, en direct ou quasiment? A télécharger aussitôt. Que dis-je, télécharger? Encore une vague notion du passé. Ce sera directement disponible. Hic et nunc.

Il ne me manquera pas, mais à beaucoup de Belges manifestement oui. Les dépliants publicitaires, vous les recevrez encore et toujours sur votre ‘feuille de papier’ numérique, mais il n’y aura plus de bons à découper. L’idée fera bientôt sourire aussi les enfants. “Maman qui découpait des bons dans un dépliant et qui les emportait au magasin. Non, mais tu te rends compte…” La librairie de Frank et Dominique se retrouvera alors dans votre poche, mais pas les sandwichs, hélas…

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