“Partez de l’idée que vous n’aurez pas de salaire les premiers mois”

Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

Martin van Wunnik aide les startups à élaborer un plan financier réaliste, indispensable pour mener à bien un projet.

“Mon fils me dit parfois que je brise des rêves, mais moi, je vois les choses autrement”, déclare en souriant Martin van Wunnik. Ce stratège financier aide les startups à élaborer un plan financier réaliste, indispensable pour mener à bien un projet. “Nos jeunots sont naïfs. Ils pensent qu’ils vont tout révolutionner uniquement parce qu’ils ont une bonne idée.” Martin van Wunnik en a vu de toutes les couleurs avec des projets situés à mi-chemin entre la finance et l’ICT. Après avoir oeuvré 18 ans dans un bon nombre de multinationales (dont Jan De Nul), il s’est mis à son compte en 2008. Depuis 2011, il accompagne des starters pour des instances telles l’Agence Bruxelloise pour l’Entreprise (ABE) et le gouvernement flamand (portefeuille des PME flamandes), et il est lié à la communauté internet BetaGroup et au Microsoft Innovation Centre (MIC).

“Ce qui m’étonne, c’est que les starters pensent souvent que tout est gratuit. Vous pouvez encore les inciter à suivre une session d’informations, mais si vous organisez des ateliers pour une bouchée de pain, ils renoncent, et vous pouvez alors vous l’accrocher. C’est çà la génération internet (rire). Mais ce n’est pas toujours possible de faire les choses gratuitement ou à prix-plancher. Si vous faites examiner une licence par un avocat, cela coûte de l’argent.”

“Un deuxième point qui pose problème, c’est que les starters sont naïfs. Ils sont aveuglés par leur idée et estiment donc qu’ils vont gagner des millions, alors qu’ils n’ont même pas encore réalisé un prototype fonctionnel. Voyez par vous-même: combien de jeunots ne demandent-ils pas d’argent pour une idée, sans même avoir un produit et encore moins de clients? Certes, cela marche parfois. Mais l’immense majorité fait chou blanc.”

Van Wunnik tente d’aider les débutants sur tout ce qui concerne l’aspect financier lié au démarrage d’une petite entreprise: “C’est très vaste évidemment, mais généralement cela revient à revoir un plan financier. Je ne vais jamais élaborer moi-même ce genre de plan, mais je fais des commentaires sur les problèmes qui pourraient se présenter par exemple.”

“Dans ce plan financier, pas mal d’hypothèses sont avancées. Cela peut fuser de tous côtés. Moi, je présente généralement deux scénarios: un positif et un négatif. L’objectif est que le starter puisse quand même survivre pendant six mois même avec le scénario négatif.”

Où les erreurs se nichent-elles le plus souvent?

Martin van Wunnik: “Indépendamment de l’hyper-motivation irréaliste (rire), la surévaluation des rentrées/besoins. Quelqu’un a-t-il vraiment besoin du produit ou pourrait-il éventuellement aimer l’acquérir? Nombre de starters se trouvent dans la dernière catégorie, alors qu’ils pensent être dans la première. Il en résulte que les rentrées se font attendre ou ne se mettent à grimper qu’après la énième adaptation du produit.”

“C’est tout à fait différent du côté des coûts. Il est aujourd’hui possible de démarrer sans argent grâce à internet. Mais qu’en est-il si vous passez soudainement de 5 à 10.000 clients? Comment allez-vous résoudre la situation? Qu’en est-il des possibilités d’évolutivité?”

“Dans la plupart des cas, le gros problème, c’est le cash ou plutôt et surtout le manque de cash. Les rentrées arrivent plus tard que prévu, alors que les coûts sont nettement plus élevés qu’attendu. Quelle est la solution? Faire appel à la famille ou aux amis? C’est possible. Mais plus vos dettes s’accumuleront, plus ce sera compliqué. Il y aura un moment où vous devrez vous poser la question: vais-je encore m’endetter davantage ou est-ce que je dépose mon bilan? Admettre qu’on a échoué, c’est l’une des choses les plus terribles qui soient.”

Qu’en est-il de la qualité des plans financiers que nos starters élaborent? Van Wunnik: “La plupart en dressent simplement les grandes lignes. Tant de clients, tant de chiffre d’affaires, tant de coûts. Il est néanmoins possible de trouver pas mal de bons modèles en ligne. L’ABE en a un, tout comme ING. Ce qui est bien avec ces modèles, c’est qu’ils incitent les personnes à réfléchir à deux fois sur les éléments qui ne s’appliquent pas à elles. Ce que beaucoup oublient, c’est que vous pouvez partir de l’idée que vous vous retrouverez sans salaire durant les six premiers mois (rire).”

Le manque de cash est un problème logique, quoi d’autre? Van Wunnik: “Cinq choses. D’abord, il y a l’équipe. Si vous êtes tout seul, ce n’est pas bon. Il est préférable de collaborer avec d’autres. Il faut disposer d’une structure valable pour que la startup soit prise au sérieux.”

“Ensuite, il y a évidemment le modèle commercial (business model). Ici encore, les starters sont trop optimistes. Ils évaluent mal les besoins de leurs clients et ne réfléchissent guère à leurs prix. Ils pensent ainsi: ‘nous proposons une formule SaaS et demandons 50 euros par mois, alors que les coûts atteignent 80 euros par mois.”

“Tertio, il y a l’évolutivité (scalability), dont nous avons déjà parlé aussi. Comment faire évoluer une petite structure en une organisation acceptant de gros volumes? Quelle infrastructure est-elle nécessaire pour cela?”

“Pensez ensuite au retour sur investissement. Vous achetez du matériel coûteux, des licences chères et des programmes onéreux, mais comment allez-vous amortir et récupérer le tout? L’on retrouve ici aussi le lien avec le cash: les rentrées sont insuffisantes pour pouvoir tenir compte de tout cela.”

“Et enfin, il y la stratégie de sortie (exit). Je sais parfaitement que les starters n’aiment pas penser à mettre pied à terre, mais cela ne peut quand même faire aucun mal que de réfléchir au fait d’être prêt à renoncer ou non à 20 pour cent d’actionnariat/contrôle. Et si la réponse est affirmative, sachez que l’on n’en restera pas à cette seule phase de financement. D’autres suivront. Accepterez-vous de conserver moins de 50 pour cent de votre entreprise? Ce sont là toutes des choses auxquelles il faut mieux bien réfléchir.”

Les possibilités de sortie en Belgique et en Europe sont-elles aussi limitées que ce que l’on veut nous faire croire? Van Wunnik: “Chez nous, l’aversion aux risques est énorme. Ce qui fait que les possibilités de sortie sont nettement plus grandes aux Etats-Unis, c’est exact. A Silicon Valley, l’équipe derrière un projet est même plus importante que le projet proprement dit. C’est nettement moins vrai en Europe. Ici, un investisseur aura nettement plus vite un problème avec un changement de cap qu’avec la mer elle-même. Alors que c’est justement cela que l’on doit pouvoir faire: changer rapidement d’intention pour réagir aux besoins du marché. Il faut alors pouvoir faire confiance à une solide équipe en place.”

“Ceci dit, je souhaiterais encore insister sur le fait que les starters se focalisent trop sur l’obtention de capital. Il est préférable de consacrer toute son attention à développer un produit viable, un prototype, et de rechercher les premiers clients. L’on devrait alors pouvoir y arriver sans financement. Quitte à se pencher plus tard sur la question du cash.”

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