“La Silicon Valley, c’est fait pour grandir, pas pour se lancer”

Kristof Van der Stadt
Kristof Van der Stadt Rédacteur en chef chez Data News

“La Silicon Valley, c’est fait pour grandir, pas pour se lancer” Pour de nombreux entrepreneurs technologiques, la Silicon Valley reste encore une véritable Terre Promise. Mais selon les starters belges qui s’y sont installées, se lancer en Californie n’est plus vraiment la chose à faire.

“La Silicon Valley, c’est fait pour grandir, pas pour se lancer” Pour de nombreux entrepreneurs technologiques, la Silicon Valley reste encore une véritable Terre Promise. Mais selon les starters belges qui s’y sont installées, se lancer en Californie n’est plus vraiment la chose à faire.

Vous êtes jeune et vous savez ce que vous voulez? Vous êtes mordu de technologie et vous avez l’envie d’entreprendre dans le sang? Alors, vous lorgnez certainement San Francisco et des villes comme Mountain View et Palo Alto, que longe l’Interstate 101. Bref, la Silicon Valley. Poussés par la fièvre de l’or, mais aussi par la volonté de faire bouger les choses et de laisser leur trace dans l’histoire de l’ICT, nombre d’entrepreneurs rallient chaque année la Baie de San Francisco pour monter de leur start-up sur ce terrain technologique fertile.

Témoin privilégié, Eric Gabrys qui, en sa qualité d’attaché économique de Brussels Invest & Export, voit défiler de très nombreux (candidats) starters et s’efforce de leur fournir conseil et accompagnement. “Mais les chiffres ne mentent pas: la moitié des start-ups de la Silicon Valley ne survivent pas. Bien souvent, leurs chances sont déjà hypothéquées avant même qu’elles ne s’installent, par exemple parce qu’elles ont déjà cédé trop d’actions pendant leur tour d’amorçage. Si l’entreprise s’est déjà défaite de 40% de son capital, rares seront les capital-risqueurs qui s’y intéresseront.”

Un potentiel méconnu des Belges

Mais le tableau n’est pas aussi noir qu’il y paraît. “Saviez-vous qu’ici, la moitié des entreprises comptent au moins un co-fondateur qui ne vient pas des États-Unis ?”, nous demande Alexis van de Wyer, CEO d’AdsWizz. L’entreprise fournit des solutions publicitaires aux services musicaux en ligne et aux diffuseurs: insertion de publicités dans des streams musicaux, gestion publicitaire, optimalisation de leur portée, sans oublier les outils d’analyse.

AdsWizz a vu le jour en 2010 à Bruxelles, à l’initiative du webentrepreneur Philippe-Alexandre Leroux – désormais COO -, grâce à des capitaux principalement belges (provenant notamment de la famille Inbev). Ses ambitions internationales se sont rapidement concrétisées.

Aujourd’hui, AdsWizz a un bureau à San Mateo, en Californie, mais elle est aussi présente physiquement au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et en Roumanie. “Nous choisissons nos marchés en fonction de leur potentiel. Et à vrai dire, nous employons déjà une centaine de collaborateurs”, précise van de Wyer. Le bureau de San Mateo en occupe une douzaine à lui seul. La direction de l’entreprise reste majoritairement entre des mains belges.

Pour van de Wyer, il est d’ailleurs évident que les Belges ne se rendent pas suffisamment compte de leur potentiel. “Les Belges s’en sortent bien dans la Silicon Valley, et ce n’est pas étonnant. L’enseignement belge est de qualité, ils s’adaptent facilement à un environnement international, et ils sont ouverts à une coopération multiculturelle : ce sont autant d’éléments qui renforcent les chances de succès”, poursuit van de Wyer, qui trouve frustrant que les Belges ne perçoivent pas cet avantage (ou ne souhaitent pas le voir).

“Le manque d’ambition et la peur de l’échec sont les deux principaux écueils, d’autant que notre culture prône l’humilité, ce qui constitue plutôt un handicap ici.”

Bons concepteurs, mauvais vendeurs

“C’est vrai : les Belges sont bien formés, flexibles et polyglottes. Nous sommes bons quand il s’agit de concevoir des produits, mais pour les vendre, c’est une autre affaire”, confirme Louis Jonckheere (29 ans), cofondateur de l’entreprise Showpad qui a fait le grand saut vers la Californie voici un peu plus d’un an.

“Nous n’avions pas le choix, car c’est ici que se trouvent nos clients, nos concurrents, les talents et les investisseurs. Nous avions besoin de cet écosystème empreint d’ambition pour Showpad”, poursuit Jonckheere, qui attaque aujourd’hui le marché américain à partir de ses bureaux sur Grant Avenue.

Pieterjan Bouten, son comparse qui est par ailleurs un ancien de Netlog, habite toujours dans la région de Gand et fait la navette vers San Francisco une fois par mois.

“Si je pouvais refaire une partie de mon parcours, je me montrerais encore plus agressif”, affirme Davy Kestens, fondateur de Twitspark (aujourd’hui rebaptisée Sparkcentral). En 2012, il est parti vers la Californie afin d’asseoir la croissance internationale de son entreprise tout en levant les fonds nécessaires.

Comme on le sait, le succès a été au rendez-vous, puisque Kestens a réussi à glaner plus de 5,6 millions $. Aujourd’hui, son bébé emploie déjà 25 personnes et plus de 50 clients font confiance à la plateforme de service client qui utilise les médias sociaux. Kestens restera vague quant à son chiffre d’affaires, et nous devrons nous contenter d’apprendre que celui-ci a triplé cette année.

Cher, inabordable, exorbitant

Mais ce que ne regrette certainement pas Kestens (qui n’a encore que 25 ans), c’est d’avoir posé les fondations de sa start-up en Belgique. “Ce n’est pas pour créer son entreprise qu’il faut aller dans la Silicon Valley, mais plutôt pour lui assurer une croissance accélérée, affirme-t-il.

“Nous avons dû nous y installer parce que cela rendait les investissements dont nous avions besoin plus accessibles, mais aussi parce que notre produit se vend plus facilement aux USA. Cependant, je ne conseille à personne de créer son entreprise dans la région à l’heure actuelle.”

Les raisons? Administration complexe, manque de crédibilité initiale, et surtout, finances. Se lancer aux USA coûte cher, sans compter que les prix du logement et des bureaux connaissent une véritable flambée dans la Silicon Valley. “En 2 ans, la valeur de ma maison a augmenté de 60%, explique Alexis van de Wyer, et les prix des bureaux sont exorbitants, surtout si vous voulez vous installer à San Francisco.”

“Nous payons 8.000 $ par mois pour de modestes locaux à San Francisco, confirme Louis Jonckheere. C’est hors de prix, mais si l’on veut vraiment être ici, on n’a pas le choix. Et comme je l’ai déjà dit, c’est là que nous devons être si nous voulons continuer à croître rapidement.”

“Mais je ne conseille à personne de se lancer ici: cela coûte beaucoup trop cher. Les maisons et les bureaux sont une chose, mais les développeurs sont également inabordables. Il faut compter 120.000 à 150.000 $ par an pour un développeur valable, alors qu’en Belgique, même un développeur de haut vol reste beaucoup moins cher. C’est aussi la raison pour laquelle Showpad maintient son QG à Gand et laisse tout le volet développement en Belgique.”

“Si nous voulons 20 ingénieurs à San Francisco, cela nous coûtera vite 3,6 millions $ par an”, calcule Jonckheere, qui considère par conséquent Gand comme un avantage stratégique.

“De plus, la qualité des collaborateurs que nous pouvons engager en Belgique est meilleure. Les vrais développeurs d’élite de la Silicon Valley sont monopolisés par Google, Facebook et les autres grands noms. En Belgique, les bons développeurs sont beaucoup plus nombreux, même s’ils ne privilégient pas toujours l’emploi dans une startup. Beaucoup préfèrent les pouvoirs publics, les banques ou les bureaux de consultants.”

Le fait que de nombreux starters belges choisissent de maintenir leurs activités techniques en Belgique est donc une constante, et Tanguy Peers qui, dans la quarantaine, est un peu l’éminence grise des starters belges, ne fait pas exception à la règle “Depuis 20 ans, j’ai fait toutes les erreurs possibles et imaginables, mais j’en ai tiré les leçons. Cela peut compter au niveau de l’expérience”, relativise-t-il en riant.

L’équipe de développement de sa start-up actuelle, Pawshake – une plateforme permettant de réserver un babysitter pour animaux de compagnie – se trouve elle aussi en Belgique. “C’est parce que les développeurs de la Silicon Valley sont effectivement hors de prix et qu’on se les arrache littéralement. Ici, les développeurs ne sont fidèles qu’à leur fiche de paie, pas à leur employeur. La technologie de la plateforme reste intégralement basée à Gand. Aux USA, nous allons créer un support client 24/7 et monter en puissance. Nous avons des investisseurs européens et américains, et nous réunissons donc le meilleur des deux mondes.”

Même son de cloche de la part de Sébastien d’Ursel, qui dirige les activités nord-américaines de Voxbone. Cette start-up fondée en 2005 offre des services télécoms spécialisés, comme des liaisons SIP et du VOIP en gros. “Une quinzaine d’employés travaillent dans le bureau que nous avons ouvert à San Francisco voici 2 ans, mais aucun n’est ingénieu : ceux-là sont tous en Belgique.

Engager les meilleurs en Belgique pour y développer son produit, c’est ce qui fonctionne le mieux. Nous avons dû nous implanter aux États-Unis parce que la moitié de nos clients environ s’y trouvent. Pour nous, la proximité était un facteur important.”

Bien se faire entourer

Même si le volet technique reste en Belgique, comment faire pour pourvoir aux autres fonctions aux States? Le secret consiste à se faire entourer de conseillers dignes de confiance. Pour leur entreprise, tant Davy Kestens que Sébastien d’Ursel ont pu faire appel au réseau d’un cofondateur américain.

“Il faut aussi veiller à trouver un recruteur de qualité, car engager les bonnes personnes est essentiel”, confirme Kestens – qui a d’ailleurs fait appel aux conseils de Sébastien de Halleux, le techentrepreneur belge qui s’est fait un nom grâce à Playfish.

“En plus, tout le monde prétend être bon. Ici, les gens sont incroyablement sûrs d’eux, et de ce fait, il m’est arrivé de faire des mauvais choix en matière de personnel”, évoque d’Ursel. Pour éviter de tomber dans ce piège, Kestens respecte une règle simple: les références doivent provenir du niveau hiérarchique supérieur à celui du candidat.

“Par exemple, il m’est arrivé qu’une personne présente quatre références de chez Google, mais il s’est avéré par la suite qu’il s’agissait d’amis personnels du candidat ou de collègues avec qui il n’avait eu pratiquement aucun contact.”

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