Interview: Le gestionnaire de données du réseau routier

Jan Cools, CEO van Be-Mobile © T. DE BOEVER
Pieterjan Van Leemputten

La mobilité de l’avenir s’appuie sur toujours plus de données. Savoir lorsque le feu va passer au vert, donner la priorité au bus et coordonner automatiquement les flux de voitures : autant de paramètres de circulation qu’ambitionne de gérer la belge Be-Mobile, qui entend exporter dans toute l’Europe son savoir-faire local.

Jan Cools, CEO de Be-Mobile, est clairement avare d’interviews. ” Il n’y a pas besoin que nous soyons connus dans le B2C puisque nos clients sont surtout des gestionnaires de voiries et des ingénieurs “, estime-t-il. Pourtant, en tant que Belge qui circule, vous avez sans doute de fortes chances d’entrer régulièrement en contact avec cette entreprise. L’exemple le plus connu est l’appli de parking 411 et le planificateur de trajet Slimnaarantwerpen.be. A Hasselt, Be-Mobile a déployé un système dynamique portant sur les places de parking libres, tandis qu’aux Pays-Bas, l’appli Flitsmeister, le pendant de Coyote ou Waze, compte pas moins de 1,45 million d’utilisateurs.

Employant désormais quelque 200 personnes, l’entreprise a accueilli en mars 2016 Proximus comme actionnaire majoritaire et a racheté l’an dernier la française Mediamobile. Objectif : après la Belgique et les Pays-Bas, se positionner désormais aussi en France, en Allemagne, en Pologne et en Scandinavie comme le fournisseur de données de référence pour le trafic routier.

Vous fournissez des données de trafic à différents acteurs, tandis que Flitsmeister est en marge de l’offre. Qu’en est-il ?

JAN COOLS: Flitsmeister est notre vitrine en matière de gestion du trafic. Le produit permet de piloter des applications. C’est ainsi qu’aux Pays-Bas, nous relions un millier de feux de signalisation intelligents à des véhicules en mouvement, une approche que nous désirons étendre à terme à nos services automobiles.

Flitsmeister est-il un Coyote néerlandais ?

COOLS: Oui, il s’agit d’un détecteur de radars en croissance phénoménale. Nous avons investi dans ce produit voici 3 ans et son utilisation a encore été multipliée par 2 depuis.

Be-mobile

Fondée en 2006

Nombre de collaborateurs : 200

2016 : rachat de l’appli néerlandaise de trafic Flitsmeister

Mars 2016 : Proximus devient actionnaire majoritaire

Novembre 2018 : rachat de sa consoeur française Mediamobile

Cools nous présente un tableau de bord de l’appli, une carte de l’Europe occidentale avec différents points dont la densité est surtout forte aux Pays-Bas et alentours.

COOLS: Pour le moment [mercredi à 16h30, NDLR], 45.000 personnes utilisent activement l’appli Flitsmeister. Si l’on compare ce chiffre à celui d’autres applis, notre couverture est nettement supérieure à celle de Coyote. En moyenne, notre appli est utilisée 21 fois par mois avec une session moyenne de 31 minutes. Soit pratiquement chaque jour ouvrable.

Vous savez donc où et à quelle vitesse roulent 45.000 personnes ?

COOLS: Nous ne pouvons évidemment utiliser que des données agrégées. Mais nous traitons ces données pour générer des mesures de trafic précises.

Be-Mobile est par ailleurs présente dans différentes solutions de données en mobilité. Etes-vous ainsi en concurrence avec TomTom ou Google/Waze ? [TomTom a cédé sa division Télématique à Bridgestone quelques jours après cette interview]

COOLS: Je les considère davantage comme des clients. Nous avons travaillé régulièrement avec TomTom en associant parfois nos données à leur offre en matière automobile, tandis qu’à l’inverse, nous avons aussi utilisé leurs données. Google est un cas à part puisque l’entreprise adopte sa propre stratégie tant au niveau des cartes que du trafic. C’est un concurrent de tous les acteurs en navigation, mais ils nous concurrencent uniquement pour Flitsmeister. Cela dit, Flitsmeister est en croissance en dépit de l’arrivée de Waze. Une fois que l’on est connu et apprécié comme acteur local, les utilisateurs restent fidèles. Nous enrichissons aussi notre appli, avec des détecteurs de radars et des avertissements pour les ambulances.

Interview: Le gestionnaire de données du réseau routier

Cools montre alors le tableau de bord des données Flitsmeister.

COOLS: Dans cette zone, 8 ambulances circulent pour l’instant avec leur sirène. Chaque conducteur dans la zone voit s’afficher un avertissement sur son appli, si l’ambulance donne évidemment son autorisation d’envoyer ce signal. Mais les ambulanciers nous disent qu’ils constatent que les voitures se rangent plus rapidement sur le côté lorsque leur ambulance est connectée à notre système.

Mais l’objectif final est de cartographier un maximum de trafic ?

COOLS: Notre ambition est de visualiser les données de l’infrastructure routière, plus précisément la capacité de trafic et l’offre routière. On trouve des fournisseurs de services qui associent les voitures connectées au sens large du terme : applis de mobilité, voitures autonomes ou semi-autonomes, gestion de flotte ou péages. Nous considérons que les voitures connectées ont des demandes individuelles de mobilité. Notre volonté est de faire le lien entre les fournisseurs d’infrastructure et les utilisateurs. Pour ce faire, nous disposons d’un ancrage local nettement plus fort que ces fournisseurs de services qui sont actuellement des acteurs internationaux.

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Vous parlez d’associer de telles infos aux feux de signalisation. Est-ce déjà le cas aujourd’hui en Belgique ?

COOLS: Nous utilisons pour ce faire notre plate-forme C-ITS pour Collaborative Intelligent Transport System qui supporte la communication véhicule-à-véhicule et véhicule-à-infrastructure. Au départ, la gestion du trafic se faisait avec une caméra ou des boucles de comptage. Mais ces 3 à 4 dernières années, les gestionnaires d’infrastructures s’intéressent également aussi aux données de véhicules connectés. En effet, plutôt que d’avoir un panneau sur la route avec une vitesse conseillée ou un feu de signalisation qui reste plus longtemps au vert, l’info pourrait être transmise directement au véhicule.

Comment les choses pourraient-elles se présenter concrètement ?

COOLS: Un bus de De Lijn arrive à proximité d’un feu de signalisation et demande la priorité. Nous avons pour ce faire développé un algorithme pour vérifier si le bus respecte son horaire. Mais il est possible également de corréler ceci à l’occupation du bus : un bus en retard et plein pourra avoir priorité sur un bus vide qui est dans les temps.

Est-ce déjà appliqué en Belgique ?

COOLS: Nous sommes en pleine phase de test de déploiement, dans un premier temps aux Pays-Bas parce que le pays est plus développé à ce niveau. Mais nous avons aussi un projet pilote avec De Lijn.

5 entités

TRAFFIC : pour les gestionnaires de voiries et d’infrastructures

AUTOMOTIVE : pour les constructeurs automobiles

FLEET MANAGEMENT AND TOL COLLECTION

MOBILITY PAYMENT : e.a. parking via le 4411

FLITSMEISTER : appli de type ‘companion’ dans la voiture

Un autre cas pratique consiste à savoir quand le feu doit passer au vert. Pour une voiture particulière, c’est pratique, mais c’est surtout intéressant pour un camion. En effet, une manoeuvre de freinage ou d’accélération revient à 1 ? pour un camion. Sachant que 10.000 camions circulent sur nos routes quotidiennement, cette information devient particulièrement utile.

Un 3e exemple porte sur la synchronisation des feux. Aujourd’hui, on utilise des boucles de comptage ou des caméras qui analysent la densité de trafic. A terme, nous entendons utiliser les données des voitures connectées pour mieux paramétriser les feux.

Comment la reprise de Mediamobile s’inscrit-elle dans ce contexte ? Est-ce surtout une économie d’échelle ?

COOLS: Ce rachat s’explique par 3 raisons : nous nous implantons dans de nouveaux pays (France, Scandinavie et Pologne), leur position dans l’automobile était nettement plus forte et ils veulent déployer notre expertise en gestion de trafic dans ces pays. Mais Mediamobile n’est certainement pas le seul rachat que nous réaliserons, mais plutôt le début d’une série.

HANS VAN WINCKEL, directeur de la stratégie chez Be-Mobile : Be-Mobile a bâti son succès sur la communication concernant le trafic, via des ondes radio, par exemple dans les Volvo avec RDS TMC [Radio Data System – Traffic Message Channel, NDLR] qui permettait d’envoyer en temps réel des infos routières. Cette solution nécessitait des accords de diffusion locaux. Puis Mediamobile s’est étendue géographiquement. Les OEM, en l’occurrence les constructeurs automobiles, s’intéressent évidemment aux fournisseurs offrant une plus grande couverture géographique.

Votre présence locale représente-t-elle une force par rapport aux grands acteurs technologiques ?

COOLS: A mon avis, oui. Nous sommes un véritable spécialiste du trafic et de la mobilité et avons bâti notre expertise sur ces acquis. D’autres sociétés viennent des télécoms ou de l’IT, alors que notre coeur de métier est la circulation.

Supposez qu’un gestionnaire souhaite fermer une voirie ou un tunnel durant quelques heures. Une ville comme Amsterdam pourra certes contacter Google ou Flitsmeister. Mais une agglomération comme Termonde ou même Anvers ne sera pas en mesure d’informer tous ces acteurs. Pour l’instant, Google ne s’intéresse nullement à cette infrastructure locale et au contenu local. Or nous nous positionnons comme l’interlocuteur de ce gestionnaire en transmettant ces données aux véhicules connectés, tout en remontant les données de ces voitures connectées pour assurer une meilleure gestion du trafic.

Les voitures autonomes vont-elles vous faciliter la tâche ? De telles voitures sont connectées et peuvent fournir davantage de données.

COOLS: Il existe différentes manières d’en arriver à une connectivité à 100%. La voie classique consiste à remonter les données provenant des voitures connectées, mais cela reste l’exception. D’autres partent du principe que tout conducteur utilisera une appli en roulant. La 3e approche, celle que nous retenons, est celle du péage électronique. Nous espérons que celui-ci arrivera aussi pour les voitures personnelles, après les camions, sans doute en 2022. Grâce au péage électronique pour les voitures, vous avez d’emblée des véhicules 100% connectés, un domaine où la Flandre peut se positionner comme leader. Beaucoup plus rapidement que les initiatives émanant du secteur automobile et qui évoluent petit à petit vers un standard.

Comment la gestion de flotte s’inscrit-elle dans le département Tol Collection ?

COOLS: Traditionnellement, la gestion de flotte est une gestion d’actifs avec calcul de la consommation, télédiagnostic, etc. Ce n’est pas notre domaine. Nous sommes surtout actifs dans la gestion de la mobilité et la gestion du trafic, à savoir l’impact des embouteillages sur de grosses flottes, ce qui est notamment le cas d’un port où entrent et sortent de nombreux camions. Cartographier ce trafic permet de faire de la gestion de flotte dynamique.

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.© Belga

VAN WINCKEL : Concrètement, cela signifie que le port sait exactement quand un camion arrive, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, et qu’il peut mieux adapter sa capacité en conséquence.

COOLS: De même, supposez qu’un accident se produise à Herentals : vous savez alors que le trafic en provenance de la Campine ou de l’Allemagne aura 1 à 2 h de retard. Grâce à ces informations précises sur les retards, vous pouvez attribuer un nouveau créneau horaire à un camion, ce qui nécessite évidemment un suivi de ces véhicules. Nous allons d’ailleurs lancer cette année Flux, une appli gratuite pour camions actuellement en test. Les camions peuvent communiquer entre eux, mais le port peut les suivre, s’ils l’autorisent. Aujourd’hui, des camions provenant de l’ensemble de l’Europe arrivent à Anvers, tous avec leur propre système embarqué qui ne communique pas avec le port ou les opérateurs du terminal. Si le port parvient à les convaincre d’utiliser Flux et obtient l’autorisation de les suivre, ceux-ci seront automatiquement enregistrés et se verront attribuer un créneau horaire de manière dynamique, ce qui leur permettra de se rendre directement au terminal dès leur arrivée.

Tout est une question de suivi des véhicules. Mais votre technologie permet-elle aussi de suivre des utilisateurs individuels ?

COOLS: Nous ne pouvons pas tracer des utilisateurs individuels. Nous travaillons d’ailleurs sur des données anonymes agrégées. Ce que nous faisons néanmoins, c’est de suivre durant une courte période un trajet individuel anonyme pour déterminer la vitesse moyenne, mais nous ne savons pas de qui il s’agit. L’avantage d’avoir Proximus comme actionnaire est qu’ils sont très sensibles au niveau RGPD. Nous avons d’ailleurs été l’une des premières sociétés à être conforme au RGPD.

VAN WINCKEL : Certaines applications ont très temporelles. Si nous donnons un conseil spécifique de vitesse, c’est à un moment précis et un endroit donné, mais il n’est plus nécessaire ensuite de suivre ces données.

Mais si la police vous demande demain de leur dire qui s’est arrêté hier à 20 h sur le parking de Sterrebeek de l’E40 ?

COOLS: Nous ne pourrions pas leur dire. C’est certes techniquement possible, mais nous n’avons pas implémenté notre solution pour le permettre.

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