Huawei: Entre ambitions et réalité

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Els Bellens

Huawei sait parfaitement ce qu’elle veut. L’entreprise est chinoise, et fière de l’être. Elle entend d’ailleurs défendre cette identité et agir comme une sorte d’ambassadeur du pays. Et conquérir le monde. Rien moins. Mais ces origines chinoises sont à la fois un atout et un handicap majeur pour concrétiser les ambitions de l’entreprise.

L’un des plus imposants bâtiments du campus de Huawei à Shenzhen n’est pas une tour de verre ou un Ovni hypermoderne à la Apple, mais un complexe de petites maisons carrées basses avec un toit typiquement chinois et des briques sombres. ” L’architecture de la dynastie Tang, explique le guide. La dynastie d’empereurs chinois qui a régné le plus longtemps. Ce choix a été fait parce que nous voulons écrire le même succès. ” Rares sont les entreprises qui pourraient imiter Huawei et évoluer en quelques années à peine d’un fabricant de téléphones bon marché en un des 3 premiers fournisseurs de téléphones haut de gamme de l’année. L’ambition de Huawei semble donc, tout comme celle de la Chine, sans limite. Même si certaines tensions commencent à se faire sentir.

Identité

Les Américains ont tendance à se moquer. ” Huawei, who are they ? ” Une raillerie, sans doute également pour cacher leur difficulté à prononcer le nom de cette entreprise. Peu importe, rétorque Clement Wong, head of global product marketing chez Huawei, car ce nom est désormais établi. ” Chaque année, nous augmentons le nombre de téléphones vendus, ce qui confirme la reconnaissance de la Chine comme marché important pour les smartphones. ”

Alors que voici quelques années encore, cette marque était largement inconnue, la situation a nettement évolué dans de nombreuses parties du monde, insiste-t-on. ” Notre visibilité a fortement augmenté ces 6 dernières années. Surtout dans la catégorie premium. ” Ce dernier segment est important, insiste Wong, car il est synonyme de qualité. ” Voici 5 ans, les gens avaient encore l’idée que tout ce qui venait de Chine était bon marché. Nous avons cassé cette image. Nous voulons apporter de l’innovation qui compte. Le consommateur est intelligent et connaît la valeur d’un produit. La provenance du produit est à ses yeux peut-être moins importante. ”

La Chine reste évidemment importante sachant que le marché est gigantesque.

Le ton est d’emblée donné. Huawei a invité un groupe de journalistes occidentaux à visiter ses bâtiments et ses labos. ” Nous voulons être transparents, insiste Winston Eavis, communications director pour l’Europe occidentale. Nous voulons mieux nous faire connaître. ” Bref, une offensive de charme. ” La perception de Huawei, et de la Chine en général, est souvent erronée. Après cette visite et lorsque vous utiliserez nos appareils, vous verrez que nos produits sont bons “, ajoute Clement Wong.

Confiance en soi

Huawei paraît en tout cas décidée à devenir la nouvelle Apple ou Samsung. Et pourquoi pas ? A l’échelle mondiale, l’entreprise est désormais le 3e plus grand fournisseur de smartphones (après Samsung et Apple), avec une part de marché de 15 à 20 % en volume. Le géant technologique chinois a bouclé 2017 sur un bénéfice de 6,1 milliards ?, en croissance de plus de 28 % sur base annuelle. Le chiffre d’affaires total du groupe a atteint l’an dernier 78 milliards ?. Et si Huawei réalise une large part de ses revenus dans l’infrastructure réseau (lisez : les pylônes 4G et 5G), c’est surtout la division grand public qui est en progression. Celle-ci a en effet vu ses ventes augmenter de 32 % à 30,7 milliards ?. Au total, Huawei a vendu en 2017 quelque 153 millions de smartphones. ” Dans le segment de 500 à 600 ?, nous avons même pu conquérir une part de marché de 25 % avec le Huawei P10 “, ajoute Jurgen Thysmans, porte-parole de Huawei Belgique.

Notre IA ne sert qu’à améliorer l’appareil photo. Peut-être craignez-vous une guerre de l’IA. Eh bien, pas de panique.

Voilà qui alimente la confiance en soi. ” Lorsque nous vendons nos produits en Europe, il faut un certain temps avant que le consommateur ne prenne en compte le fait que nous venons de Chine “, estime Jim Xu, president Marketing & Sales Service de Huawei. Mais sur le plan technique, nous sommes très bons. Pour travailler avec des opérateurs, pour être commercialisés par un fournisseur mobile, vos produits doivent être testés au niveau de la qualité. Et ces opérateurs nous ont vraiment apporté leur soutien, ce qui a permis de convaincre plus rapidement le grand public. ”

Huawei est désormais distribué dans quelque 160 pays par ces opérateurs. L’entreprise se profile d’ailleurs volontiers comme un acteur global, certes d’origine chinoise, mais qui compte des clients, de même que des collaborateurs dans le monde entier. Soit 79.000 employés, dont 45 % en R&D. ” Certains pays comptent des collaborateurs qui sont très bons dans une expertise spécifique “, remarque Clement Wong. Ainsi, la recherche en matière d’esthétique se fait à Paris, les algorithmes sont écrits à Moscou, et le centre de conception UX est à San Francisco. Bref, si l’on lit entre les lignes, le téléphone n’est pas purement chinois, mais est fabriqué par des équipes réparties partout dans le monde.

Intelligence artificielle

L’un des domaines de recherches principaux en R&D est l’intelligence artificielle. ” Le smartphone existe depuis 10 ans déjà, rappelle Kevin Ho, président de la gamme Handsets chez Huawei. La rapidité avec laquelle les clients changent d’appareil a évolué. Autrefois, ce délai était de 18 à 20 mois, et l’an dernier de 24 à 25 mois. Un smartphone a donc une durée de vie plus longue. Ceci peut évidemment s’expliquer par l’amélioration de la qualité des appareils, mais aussi par le fait que les nouveaux smartphones n’offrent pas suffisamment d’extras pour inciter le consommateur à en changer. La réponse à cette situation est, pour l’instant, l’IA. Pour l’appareil photo, précise Ho. ” Chez nous, l’IA est surtout destinée à la reconnaissance d’objets par l’appareil photo. Le smartphone sait ce qu’il voit. Il s’agit là d’une première étape qui doit venir en aide au consommateur. C’est un peu comme une machine utilisée dans une usine pour emballer des objets et assister ainsi le travailleur. Notre IA ne sert qu’à améliorer l’appareil photo. Peut-être craignez-vous une guerre de l’IA. Eh bien, pas de panique. ”

Reste que notre homme a conscience que l’évolution ne s’arrêtera pas là. ” Notre objectif est de lancer un smartphone totalement nouveau d’ici 2 ans, dixit Ho. Cette année, nous mettons l’accent sur l’IA comme première étape importante sur la voie d’une nouvelle génération d’appareils. ” Mais impossible de savoir aujourd’hui à quoi ressemblera ce tout nouveau smartphone. ” De nombreuses formes sont possibles, confie Shao Yang, CSO du Huawei Consumer Business Group. Super-fin, sans bouton, éventuellement courbé afin de pouvoir le plier autour du bras comme un bracelet. Mais chacune de ces formes exige encore des recherches. C’est ainsi que nous avons lancé un projet visant à fabriquer un appareil moitié plus fin que les modèles actuels. Mais pour y arriver, il faut repenser la batterie, l’appareil photo, etc. ”

Pour accélérer ces développements, Huawei s’appuie sur des partenariats, insiste Yang. ” Une large part du savoir que nous intégrons dans nos téléphones ne provient pas de Huawei, mais de nos partenaires, et notamment Baidu et iFly, mais aussi Google et Amazon. C’est ainsi que notre IA est notamment capable de reconnaître une bouteille d’eau, même si nous ne savons pas encore combien elle coûte, quelle est la réputation de la marque, etc. Mais Baidu le sait, ou encore Alibaba. Si nous voulons donner aux gens davantage d’infos sur les produits qu’ils rencontrent dans leur environnement, nous devons établir des collaborations. Or nous voulons précisément donner aux clients cette expérience complète. Même sur des informations que nous ne connaissons pas. ”

Huawei a-t-elle peur de Xiaomi ?

La marque ‘online only’ Xiaomi n’est pas encore active en Belgique, mais s’étend peu à peu en Europe. S’agit-il là d’un concurrent à prendre au sérieux ? ” Le marché chinois est particulièrement grand, rétorque Kevin Ho, président de la gamme Handsets chez Huawei. Certains consommateurs achètent en ligne, d’autres préfèrent aller au magasin. En tant que Huawei, nous proposons donc différents scénarios. ” Et l’un d’entre eux, allusion subtile à Xiaomi, est la marque Honor, une marque qui n’est vendue qu’en ligne. ” Nous avons connu une croissance spectaculaire de nos ventes en ligne, précise Ho. L’an dernier, nous étions d’ailleurs n° 1 des ventes en ligne en Chine. Nous pouvons donc faire valoir une solide expérience du marché on-line. Nous connaissons le profil des clients, nous savons ce qu’ils veulent, pas seulement au niveau des produits, mais aussi de leurs modes d’achat, de la manière dont ils comparent. Nous pouvons donc vaincre Xiaomi en Chine et n’avons pas vraiment peur de leur arrivée sur le marché européen. “

Le problème US

Au-delà des débats sur les API ouvertes, les partenariats et les accords avec les opérateurs dans différents pays, Huawei n’entend pas se cacher de la réalité. Le jour avant que Huawei n’annonce au CES, le plus grand salon technologique au monde à Las Vegas, que le Mate 10 Pro serait lancé aux Etats-Unis, le contrat de commercialisation avec l’opérateur AT&T était rompu. Et plus tard, un deuxième opérateur, Verizon, de même que la chaîne d’électronique américaine Best Buy, décidaient d’arrêter leur collaboration avec Huawei.

La conquête du marché mondial risque donc de se faire encore quelque peu attendre. Huawei essaie en effet depuis des années sans succès de s’imposer aux Etats-Unis. Une opération qui passe largement par les opérateurs. Le contrat avec AT&T aurait été le premier depuis des années. Aux USA, les clients ne peuvent pas acheter un P10 ou un Mate 10 avec abonnement, alors même que le pays se caractérise par une très grande majorité de smartphones vendus de manière couplée avec un abonnement.

La décision d’AT&T et d’autres n’en soit pas vraiment surprenante. Les autorités américaines ont en effet, par la voix du FBI, de la CIA et de la NSA, émis des avertissements contre les 2 marques chinoises Huawei et ZTE. Celles-ci collaboreraient en effet avec les pouvoirs publics chinois pour espionner des citoyens américains. Et la tension – voire un début de guerre commerciale entre les 2 pays – est encore renforcée par le fait qu’au moment d’écrire ces lignes, on annonce des taxes élevées sur différentes matières premières.

Est-ce là un problème pour Huawei ? Le CEO, Richard Yu, confiait au CES que cela faisait mal. Les Etats-Unis sont l’un des plus grands marchés au monde, même s’il n’est plus et de loin le seul, vu l’accélération de la croissance dans des pays comme la Chine et l’Inde. ” Nous avons 7 milliards de clients potentiels. Et quelle est la taille du marché américain ? 300 millions “, fait remarquer subtilement Kevin Ho. Du coup, l’entreprise a décidé de renforcer sensiblement sa présence en Europe, question de maintenir son rythme de croissance. ” Pour nous, l’Europe sera très importante cette année. Par ailleurs, il existe aussi des marchés en Asie-Pacifique où nous n’avons encore qu’une part de marché assez faible. Nous entendons améliorer cette situation. Et la Chine reste évidemment importante sachant que le marché est gigantesque. ”

Partenariats

A Beijing, les journalistes visitent quelques partenaires : Baidu et iFly. Il est question de collaborations, de traduction simultanée (en chinois) et de voitures autonomes. Huawei collabore notamment avec ces sociétés sur un assistant vocal qui permettra notamment de commander le téléviseur. ” Nous fournissons un protocole ouvert aux fabricants d’appareils électroniques, le protocole Hilink, explique Jim Xu. A ce jour, un millier environ de TV de différentes marques peuvent être commandées via notre système. Comme nous ne fabriquons pas d’appareils, nous veillons à rester ouverts. ”

Reste qu’en dépit des conversations sur la transparence et l’ouverture, la Chine est et reste la Chine. Notre hôtel est situé à un jet de pierre de la place Tienanmen. Pourrons-nous à un moment la visiter ? ” Mieux vaut pas “, estime le guide. Trop sensible, semble-t-il. Une semaine auparavant, Xi Jinping s’était proclamé dirigeant à vie. Et à l’hôtel, le parefeu chinois commence à nous jouer des tours. Si Google Maps fonctionnait encore à Shenzhen, plus question de l’utiliser dans la chambre d’hôtel. D’autres cartes alors ? Bing semble également bloqué. Mais pas le Baidu local, même s’il n’autorise pas la navigation. Il fait noir, la qualité de l’air est sur orange, soit malsain. Pas de Tienanmen dans ces conditions. Lorsque l’air redevient respirable le lendemain, je parviens juste à voir les toits du Palais Interdit depuis ma chambre d’hôtel.

Une semaine plus tard, Paris est le théâtre du lancement en grande pompe des P20 et P20 Pro. Vendus à 988 ?, le P20 Pro est juste un peu plus cher que le S9 de Samsung (l’édition Porsche revient même à plus de 2.000 ? pour d’étranges raisons). Mais aucun ricanement. L’appareil reçoit même des éloges. La crédibilité sur le marché haut de gamme est désormais une réalité. L’appareil n’est pas commercialisé aux Etats-Unis.

D’où proviennent les accusations d’espionnage ?

Les suspicions d’espionnage poursuivent Huawei depuis des années déjà. L’une des raisons réside dans le fait que le fondateur Ren Zhegfei a travaillé pour l’armée chinoise avant de fonder Huawei en 1987. Pour l’instant, seuls les Etats-Unis ont banni les smartphones de la marque (de même que ceux de ZTE, un autre constructeur chinois). L’Australie avait un moment aussi décidé de les interdire, mais est revenue sur sa décision. Toutefois, le pays refuse que Huawei collabore au réseau nationale à large bande. En Belgique, Huawei a livré des pans entiers de l’infrastructure télécoms (dont des pylônes GSM).

Pour sa part, Huawei dément les accusations. ” Nos collaborateurs sont actionnaires à 100 % de l’entreprise. Aucune instance publique n’a jamais essayé d’intervenir dans nos activités ou nos décisions, insiste Jurgen Thysmans. Comme il est difficile de se prononcer sur un plan technique, il s’agit de croire sur parole. Pourtant, il ne faut pas trop s’en faire, estime Luc Van den hove, CEO d’imec qui collabore avec Huawei sur la technologie FG. ” Dans l’ensemble, il ne faut pas se cacher la tête dans le sable. Les Chinois sont simplement très avancés au niveau des composants de la technologie 5G, expliquait-il à nos collègues du magazine Trends. Imec collabore en effet avec Huawei. A ce jour, nous n’avons aucun indice de comportement non éthique. Nous suivons cependant de près la manière dont ils accèdent à nos informations, dont ils se comportent en réunion, dont ils accèdent à nos réseaux et dont ils stockent les données. Ils adoptent un comportement très professionnel. Pour nous, il s’agit d’un partenaire très fidèle. Nous ne voyons aucune différence entre une collaboration avec eux et avec les entreprises occidentales. ”

R&D de Beijing

Dans son centre R&D de Beijing, Huawei n’est pas peu fière de présenter son labo de tests de résistance. C’est là que les smartphones sont notamment vérifiés sur leurs qualités physiques par une série d’automates à l’apparence toujours plus absurde. C’est ainsi que des oreillettes sont mises et enlevées 5.000 fois, qu’un testeur automatique de poche revolver appuie 2.000 fois sur certains endroits d’un appareil, qu’une machine fait tomber à de multiples reprises le même appareil sur un même coin ou qu’une cabine de pluie permet de vérifier l’étanchéité des smartphones.

Huawei: Entre ambitions et réalité
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