Le Yin et le Yang de Facebook

Le revers d’une histoire à succès en ligne.

Le revers d’une histoire à succès en ligne.

La semaine dernière, Mark Zuckerberg a été élu Personne de l’Année par Time Magazine. Il prend ainsi place à côté de noms aussi prestigieux que Obama, Putin, vous-même (vous rappelez-vous encore la couverture-miroir en 2006?), Bush, Einstein, Deng Xiaoping et le Pape Jean Paul II. Une bien belle compagnie pour quelqu’un de 26 ans.

Zuckerberg et son équipe ont réussi en à peine 7 ans à créer l’un des plus importants sites au monde. Hormis quelques pays, Facebook domine les médias sociaux dans le monde entier.

Actuellement, l’on estime le nombre de ses membres à quelque 600.000.000. Ces 17 derniers mois, ce nombre a crû de quasiment 700.000 par jour. En Belgique, nous sommes 3,9 millions de membres, en hausse d’un demi-million ces six derniers mois.

Contrairement à ce que beaucoup pensent, Facebook ne s’adresse pas essentiellement aux jeunes. Des chiffres, il apparaît que seul un tiers des membres est âgé de moins de 25 ans. Facebook est le reflet même de notre société. Dans le top cinq des pays Facebook, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne occupent les places 1 et 3, mais les positions 2 et 4 sont prises par l’Indonésie et la Turquie. Facebook est donc bien à tous égards un phénomène planétaire.

Facebook est aujourd’hui plus grand que Google. Et c’est en soi singulier pour un site qui est en fait vide. La seule chose qui s’y passe, c’est que des gens en rencontrent d’autres, avec qui ils échangent des messages, des infos,…. Un site créé sur la puissance de la masse donc. Le principal média au monde, sans pour autant satisfaire aux règles du jeu classiques des médias.

Nonobstant le jeune âge de Zuckerberg et de son entreprise, l’on ne peut nier qu’ils l’ont joué très subtilement jusqu’à présent. Les quelques premières années, ils les ont utilisées pour croître de toutes les façons possibles, ce qui leur a permis d’attirer des centaines de millions d’utilisateurs. Pour nombre d’internautes, Facebook fait à présent partie de la routine quotidienne. Une étape importante en vue d’attirer pleinement les utilisateurs vers Facebook, c’est son service de messages récemment lancé, qui permet aussi de gérer tous les mails et messages dans Facebook même. Il est à présent possible de mettre toute sa vie en ligne sur Facebook…

L’offre des entreprises et des annonceurs a également été complètement revue ces derniers mois, pour leur fournir divers instruments intéressants leur permettant de se connecter aisément à leurs clients. La plate-forme Facebook actuelle autorise les entreprises à lier leurs propres sites à Facebook et à créer facilement des pages de qualité au sein de Facebook, susceptibles en fait de remplacer les sites classiques. En outre, dans l’écosystème de Facebook, vous profitez de la dynamique sociale par laquelle les utilisateurs propagent votre message, ce qui est le rêve de tout expert en marketing. Mais Facebook permet bien d’autres choses encore: une communication attractive, du CRM puissant, les transactions en ligne,… En fait, l’entreprise peut elle aussi déplacer toute sa présence en ligne vers Facebook.

En 7 années à peine, Facebook a réussi à réaliser l’impossible, mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là. Dans son business plan, l’on peut lire qu’elle envisage de passer le cap du milliard d’utilisateurs en 2012. De par sa croissance actuelle, elle aura encore besoin de 570 jours pour y arriver…
Quelle que soit la façon dont on considère le phénomène et quoi qu’en pensent les esprits chagrins sur internet, Facebook ne disparaîtra jamais. C’est vraiment une oeuvre fantastique.

Mais Facebook présente aussi un revers essentiel. Il crée (consciemment?) un internet au sein de l’internet. Un internet, où les règles du jeu de 20 années d’internet ouvert ne s’appliquent plus. L’internet, tel que nous le connaissons aujourd’hui, existe grâce à sa décentralisation et à sa neutralité. Alors que les puritains, les conservateurs et autres dictatures sont maintenus en équilibre par les libéraux, les îlots de débauche, de franchise, voire d’illégalité. Un internet du monde entier. Ce fragile équilibre est le reflet même de la complexité et des oppositions du monde réel qui nous entoure.

Et en raison du succès de Facebook, tout cela risque de changer. L’internet que beaucoup de personnes utiliseront quasi exclusivement demain, appartiendra à une seule et même entreprise. Ce sera un internet avec ses propres règles du jeu (commercial), qui ne sera plus le reflet d’une société libre, d’une économie libre, d’une liberté d’expression ou d’une civilisation libre.
Facebook deviendra ainsi la Chine de l’internet: extérieurement, tout paraîtra flamboyant, brillant, libre et capitaliste, alors que la base sera dictatoriale et fermée.
Il existe d’innombrables exemples de la manière dont tant des utilisateurs (des mères donnant le sein à leur bébé) que des entreprises (récemment encore Humo et Studio Brussel) ont été soudainement exclus sans explication de Facebook, parce que notre mentalité européenne heurtait apparemment celle des Américain puritains.

Même si cet article concerne Facebook, tous les arguments et toutes les objections cités s’appliquent aussi à certains autres acteurs, tels Apple et Google qui, chacun à sa manière, préparent activement “internet dans l’internet”.
J’entends souvent l’argument, selon lequel Facebook et les autres sont des entreprises commerciales, qui peuvent définir ce qu’elles veulent et que ceux qui ne l’acceptent pas, n’ont qu’à pas recourir à leurs services. Mais c’est précisément là que se trouve le côté pervers de la situation: chacune des marques mentionnées est de facto un monopoliste dans son domaine. Il n’y a tout simplement pas (plus) de concurrence valable.

Qu’il n’y ait pas le moindre malentendu: je suis un grand fan de Facebook, Apple, Google et de tant d’autres entreprises fantastiques. De plus, il est tout simplement impossible de ne pas faire appel aujourd’hui à leurs technologies et services.
Mais j’en appelle aussi à une action immédiate, afin de préserver notre manière de penser, de vivre et de faire des affaires. Pour faire en sorte que le reste du monde ne doive pas se soumettre aux normes d’une poignée d’entreprises appliquant la culture et les intérêts d’un seul pays.

Cela ne peut se faire qu’à un niveau supérieur (européen?). La position monopolistique de fait de Facebook, Apple, Google,… nous donne des armes juridiques et économiques pour exiger des entreprises en question une autre attitude et pour obtenir des garanties, afin que notre manière de vivre, de penser et de consommer soit préservée. Je crains malheureusement qu’il n’existe actuellement qu’une prise de conscience politique trop faible de la gravité de la situation et qu’il manque la volonté politique pour adopter un point de vue radical. Le marché devra donc se protéger lui-même en ne déposant pas tous ses oeufs dans le même panier. Exploitez pleinement la force de Google, Apple et Facebook, mais veillez à ne pas tomber dans l’exclusivité et à toujours assurer une voie de retour. Peut-être, cela sera-t-il nécessaire un jour.

Jo Caudron

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