Jan Guldentops

Le vote numérique en Flandre: if it’s not broke, don’t fix it

Jan Guldentops Jan Guldentops est consultant en IT, réseaux et sécurité. Il est aussi chercheur ayant un faible pour les solutions open source. Avec BA, il imagine, crée et supporte diverses infrastructures et solutions de sécurité. Vous pouvez le joindre à l'adresse e-mail la plus courte au monde (j@ba.be ).

Ce dimanche matin, j’ai été, comme des milliers d’autres Belges, remplir mon devoir démocratique au bureau de vote 76 d’une école primaire de Louvain. Via Twitter, j’avais déjà appris que le vote électronique posait ci et là des problèmes.

Ce dimanche matin, j’ai été, comme des milliers d’autres Belges, remplir mon devoir démocratique au bureau de vote 76 d’une école primaire de Louvain. Via Twitter, j’avais déjà appris que le vote électronique posait ci et là des problèmes.

Et bien oui: une fois arrivé sur place, j’ai vu une longue file d’attente. Un assesseur stressé qui ne devait pas avoir guère plus de trente ans, est venu alors nous informer, tout gêné, qu’un seul ordinateur à voter fonctionnait et que l’attente allait certainement encore durer une demi-heure. Comme le dernier ordinateur disponible rendit l’âme 2 minutes plus tard, le stress ambiant ne fit que croître. Il ne nous restait plus qu’à patienter et à réfléchir à ce qui clochait.

Ces problèmes m’ont surpris dans la mesure où cela fait déjà plus d’une décennie que je vote électroniquement sans problème avec les anciens systèmes. Ces ordinateurs fonctionnaient encore avec des disquettes et avaient l’air vieillot, mais d’une élection à l’autre, cela se passait sans trop de difficultés. Dans certaines communes bruxelloises, ces vieilles bécanes, fournies en son temps par Bull, ont même encore été utilisées cette fois-ci sans problèmes notoires.

Comment est-on donc passé de ce genre de système fonctionnant bien à ce nouveau système défectueux? Vous pouvez me qualifier d’ultra-conservateur, mais je suis en tout cas un grand adepte de la sagesse populaire: if it is not broke, don’t fix it. Autrement dit, si un système fonctionne bien, il ne faut pas absolument en inventer un nouveau pour plonger alors dans l’inconnu.
Mais des universitaires, des informaticiens, des juristes et des politiciens occasionnels, bref les cerveaux les plus intelligents du pays, ont décidé qu’il fallait un système hybride où le vote devait être non seulement traité électroniquement, mais aussi être contrôlé sur papier. Chaque informaticien pratique qui a déjà travaillé avec des imprimantes dans ce genre d’environnement, sait parfaitement que ces machines peuvent créer bien des misères et qu’il est donc préférable de les éviter. Mais peut-être ne voit-on pas les choses ainsi dans la tour d’ivoire.

Selon moi, le bout de papier imprimé provoque davantage de problèmes qu’une solution. Le secret du vote est menacé: dans mon bureau de vote, l’assesseur dépliait consciencieusement les bouts de papier imprimés pour les placer sur le scanner et il a donc parfaitement pu voir pour qui j’ai voté. En tant que votant, je n’ai, tout comme avec l’ancien système à voter du reste, aucune certitude que le code QR qui s’y trouve, contient le vote correct. Je doute donc aussi de la valeur ajoutée d’un système à voter hybride, du moins dans cette implémentation.
Logiquement, l’on a élaboré une adjudication pour ces nouveaux ordinateurs à voter, qui a été remportée par Smartmatic/Steria, mais au cours du développement du prototype, l’on a eu bien du mal à respecter les étapes et les dates-butoirs fixées pour la fourniture du prototype. Ce fut en réalité une véritable performance que tout ait encore pu être finalisé pour ces élections. Mais avec tous les problèmes que l’on a connus ce dimanche, l’on peut se poser la question de savoir si l’on a eu le temps de tester le tout correctement. Je ne peux m’empêcher de penser que cela ressemble un peu à la chronique d’une mort annoncée.

L’on peut aussi avoir de sérieux doutes quant aux choix technologiques qui ont été faits au niveau de l’infrastructure. Le transfert des données s’effectue au moyen d’une clé USB, et je ne pense pas que l’on puisse trouver des ordinateurs portables bas de gamme meilleurs marché que les netbooks utilisés par les présidents des bureaux de vote. Qui plus est, c’est que l’on devra probablement encore se farcir un certain nombre d’élections avec cette solution.

Le plus grave dans toute cette affaire, c’est à mes yeux le damage control avec lequel le project manager et d’autres responsables ont commencé immédiatement à défrayer la chronique. Selon eux, la cause des problèmes se situait au niveau des présidents qui n’ont pas suivi correctement la procédure. Mensonge, c’est aux développeurs systèmes qu’il appartient de mettre en oeuvre une procédure correcte pour les non-informaticiens, tels les présidents et leurs assesseurs des bureaux de vote. Cela me fait un peu penser aux présidents de parti pour lesquels il n’y a eu aucun perdant ce dimanche.

Une file d’attente de plus d’1 heure, c’est quelque part aussi une forme de falsification électorale. Nombreux sont ceux qui ont en effet perdu patience et sont rentrés chez eux. Ce n’est pas positif pour la démocratie. Mais j’ai éprouvé le plus grand respect pour ces présidents et assesseurs qui ont dû sacrifier leur dimanche pour quelques euros et qui ont dû en plus faire face à toute cette misère. Ils n’étaient pas responsables des problèmes rencontrés, mais ils en ont payé la facture. Peut-être devrait-on la prochaine fois faire appel – gratuitement – à tous les experts et consultants qui ont conçu ce système à venir prendre place dans les bureaux de vote et à expliquer le pourquoi et le comment au citoyen indigné?

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