Sarah Moens

Vers un cadre juridique pour les drones en Belgique

Sarah Moens Advocate chez Crowell&Moring et est spécialisée en drones et droit de l'espace.

Alors que plusieurs opérateurs de drones sont d’ores et déjà actifs dans nos pays voisins, l’utilisation de ces drones reste toujours interdite en Belgique. Faut-il s’attendre bientôt à une évolution concrète ? Etat des lieux.

Pour l’heure, il n’existe pas en Belgique de législation spécifique sur l’utilisation privée et/ou commerciale des drones et seuls des vols d’essai ou des vols à finalité scientifique peuvent bénéficier d’une autorisation. Pourtant, cette législation existe déjà chez nos voisins, et notamment en Allemagne, en France et au Royaume-Uni. Ce qui donne à la Belgique un désavantage compétitif. Car notre pays compte également plusieurs sociétés spécialisées dans les drones. Tandis que pour d’autres entreprises également, le recours à des drones pourrait à l’avenir leur permettre de réduire leurs coûts et d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Les potentialités offertes par les drones sont en effet immenses. Ainsi, ils peuvent servir à la surveillance et à l’inspection d’infrastructures ou de lignes à haute tension, au transport de marchandises, à l’agriculture, à la photographie aérienne, etc. Personne ne peut nier que les drones sont l’avenir. Pourtant, il existe un revers à la médaille : les drones peuvent en effet être aussi bien utilisés à des fins criminelles ou terroristes. De même, ces drones pourraient mettre à mal notre vie privée.

Le vol transfrontalier des drones ne sera pas toléré.

Il est donc grand temps de prévoir un cadre juridique à l’utilisation des drones en Belgique. Au printemps 2015, le législateur a enfin sorti un projet d’arrêté royal. Ce document de 60 pages porte sur l’utilisation privée et commerciale des drones en Belgique. Tout drone qui décolle de Belgique, atterrit en Belgique ou vole au-dessus de la Belgique devra satisfaire aux dispositions de cet arrêté royal, lequel prévoit des exceptions dans certains cas spécifiques.

Ce projet d’arrêté royal a subi de nombreuses critiques, notamment de la part du secteur, de la Commission Vie privée et de la Commission européenne. C’est ainsi que les drones ne peuvent voler que jusqu’à 90 m dans le cadre d’activités commerciales. Or, estime le secteur, il ne s’agit pas là d’une altitude suffisante. De même, la Commission Vie privée a fait part dans son avis de remarques non-équivoques. C’est ainsi qu’elle note plusieurs zones d’ombre sur le champ d’application, alors qu’il s’agit d’une technologie très intrusive pour la vie privée. Cette Commission Vie privée a toutefois confirmé que notre législation actuelle très stricte en matière de vie privée s’appliquait en tout cas lorsque des données personnelles sont traitées, par exemple à l’aide d’un appareil photo, d’un micro ou d’un appareil photo installé sur le drone. Pas besoin donc de craindre qu’un drone prenne sournoisement des photos de vous. Tout comportement suspect d’un drone ne sera en effet pas toléré. Enfin, la Commission européenne a fait part de ses remarques. Ainsi, les règles belges imposeraient des exigences qui limiteraient trop l’utilisation commerciale des drones.

Alors qu’au départ, l’entrée en vigueur de l’arrêté royal était prévue pour décembre 2015, il faudra finalement attendre le printemps 2016 afin que toutes ces remarques soient examinées et traitées.

Quoi qu’il en soit, l’arrêté royal aura un impact majeur sur les entreprises qui devront non seulement se conformer à différentes exigences techniques, mais aussi obtenir à chaque fois l’autorisation de l’administration pour certaines activités dites à haut risque, comme survoler une foule. En outre, le pilote devra se soumettre à un examen médical et passer un examen théorique et un examen pratique.

Les législateurs tant belge qu’européen doivent veiller à ce que notre sécurité et notre vie privée ne soient pas menacées.

Par ailleurs, les autorités européennes ne restent pas sur la touche. Ainsi, la Commission européenne a entre-temps fait une proposition visant à régir au niveau européen certains aspects relatifs à l’utilisation de drones, comme la sécurité, la vie privée et la responsabilité, afin d’en arriver progressivement à un cadre juridique européen cohérent. Ne faudrait-il pas prévoir un cadre européen, à présent que tous les pays mettent progressivement en place leur propre législation nationale sur les drones ? Il importe en effet de réfléchir à long terme et en termes de marché global. Une grande initiative européenne ne pourrait en effet qu’être saluée, alors même que tant pour l’Europe dans son ensemble que pour les entreprises, il serait préférable de ne pas devoir s’adapter à chaque fois à une législation nationale différente dès que des activités sont prévues dans un autre pays. Les drones sont en effet transfrontaliers. Moins de coûts pour les entreprises donc et davantage de sécurité juridique. Ce faisant, l’Europe pourrait devenir un acteur mondial dans le domaine des drones.

Cela étant, il convient d’être conscient des dangers potentiels liés aux drones. Au final, il s’agit d’une technologie nouvelle dont tous les risques ne sont pas connus. Les législateur belge et européen doivent donc être sur leurs gardes afin de ne pas mettre en péril la sécurité et le respect de la vie privée.

Attendons à présent le nouvel arrêté royal. Je vous souhaite en tout cas un agréable vol.

*Cette opinion est parue dans la version imprimée de Data News du 5 février. Entre-temps, l’on a appris que la loi fédérale sur les drones sortirait au printemps.

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