Kristof Van der Stadt

Unir Dell et EMC? A condition de ne pas se disputer à propos des enfants

Kristof Van der Stadt Rédacteur en chef chez Data News

Il est possible qu’un peu plus tard aujourd’hui même soit signé le plus important accord de rachat technologique de l’histoire. Dell engloutirait en effet EMC pour plus de 53 milliards de dollars, si l’on en croit le Financial Times. Il en résulterait un mastodonte technologique d’une valeur de quelque 75 milliards de dollars.

Unir Dell et EMC? A condition de ne pas se disputer à propos des enfants.

Tant Dell qu’EMC peuvent être qualifiés sans problème de géants technologiques. De géants de l’IT. Ou pour le formuler de manière quelque peu plus irrespectueuse: de dinosaures qui ont survécu à l’histoire technologique tumultueuse et qui brassent encore et toujours des milliards grâce précisément à leur instinct de survie.

EMC (âgée de 36 ans) – dont le siège central se trouve à Hopkinton dans l’état américain du Massachusetts – a une valeur marchande de quelque 50 milliards de dollars. Ses gammes de produits reposent principalement sur la technologie du stockage pour les entreprises, plutôt les grandes entreprises qui ont besoin de beaucoup de stockage. Really big data.

Dell (âgée de 31 ans), de son côté, vend encore et toujours une grande partie de ses PC – ordinateurs portables et de bureau – aux entreprises et PME. A partir de cette activité, elle tente de faire de la montée en gamme (upselling) et de vendre aux grandes sociétés des services supplémentaires que l’on pourrait résumer par le terme ‘enterprise IT’. L’activité PC n’est plus ce qu’elle était, et Dell voit dans l”enterprise IT’ une bouée de sauvetage.

Dell a démarré comme vendeur de PC, alors qu’EMC a débuté comme vendeur de systèmes de stockage. Ces deux entreprises matures sont restées fidèles à leur ADN et à leur coeur de métier. Pourquoi dès lors les marier?

Deux entreprises matures qui sont restées fidèles à leur ADN et à leur coeur de métier: pourquoi dès lors les marier?

Pourquoi ce mariage?

Chez EMC, l’on considère Dell surtout comme un acheteur intéressant, mais le CEO Joe Tucci ne souhaite cependant pas vendre au premier venu. Selon l’agence de presse Reuters, EMC souhaiterait prévoir une clause dite ‘go-shop’, qui dit bien ce qu’elle veut dire: EMC aurait publiquement toute latitude de se tourner vers d’autres candidats acheteurs dans le but d’obtenir un accord encore meilleur. Dans ce cas, Dell devrait encore verser aussi une indemnisation. D’un autre côté, les candidats ne doivent pas se bousculer au portillon. Un concurrent comme HP est en train de se scinder, alors que Cisco ou IBM n’envisageraient pas une contre-offre, selon Reuters.

L’union pourrait faire de Dell un acteur capable de fournir de bout en bout l’ensemble de la chaîne IT.

Chez Dell, l’on estime qu’EMC a pas mal de répondant. La stratégie de rachats d’EMC a payé ces dernières années, alors que Dell a dans le même temps régulièrement mordu la poussière. EMC possède une technologie du stockage très précieuse (et des clients qui le sont tout autant). EMC est passé maître dans l’art de dégoter des jeunes entreprises de stockage révolutionnaires prometteuses que l’entreprise rachète de manière très ciblée, puis intègre à son portefeuille. Dell est loin d’en faire autant dans son ‘enterprise storage’. Les VNX-arrays à succès sont très appréciés par Dell. L’analytique de données l’intéresse également: elle a encore été renforcée du reste par EMC après le rachat de Pivotal. Autre exemple: la sécurité. RSA est une filiale à part entière d’EMC. La sécurité est devenue un élément IT incontournable. Mais EMC a de quoi faire aussi en matière de réseaux. Bref, l’union ferait de Dell un acteur capable de fournir de bout en bout l’ensemble de la chaîne IT.

Plus grand va-t-il de pair avec mieux?

Il y a pourtant des risques à ce mariage. Une entreprise plus grande, ce n’est pas nécessairement mieux. La prise de décision se ralentit irrémédiablement. C’est l’histoire de l’énorme tanker qui est bien difficile à manoeuvrer et qui ne peut lutter contre les vedettes rapides que les jeunes entreprises font naviguer dans la baie de Californie. Une mégafusion – répétons-le: l’on parle ici d’un montant de rachat supérieur à 50 milliards de dollars – est aussi contraire à l’esprit de l’ère technologique.

Une mégafusion est contraire à l’esprit de l’ère technologique.

Nombre de grandes sociétés effectuent en effet actuellement le mouvement inverse, à savoir se scinder pour se concentrer de manière plus ciblée et concrète sur quelques pièces seulement du puzzle IT complexe. Une plus petite entreprise peut alors mieux contrer les attaques perturbatrices. Deux exemples? eBay qui a fait de sa filiale de paiements PayPal une entreprise séparée cotée à la Bourse. Ou HP qui est en train de scinder sa division ‘enterprise’.

Et nous n’avons même pas encore abordé l’aspect du financement, pour lequel les analystes se posent quand même des questions. Dell a accumulé les dettes, et les marchés financiers ne sont généralement pas prêts à prendre ce genre de risques dans le climat actuel.

Qu’en est-il des enfants?

Mais le grand danger dans cette union probablement très proche, ce sont les disputes à propos des enfants. Nutanix par exemple: une entreprise que Dell a rachetée, mais dont le chevauchement avec EMC est vraiment très important. Cisco n’a-t-elle pas été citée, il n’y a pas si longtemps, comme un repreneur possible de Nutanix?

Mais il y a principalement le spécialiste de la virtualisation VMware. En 2004, EMC racheta 80 pour cent de cette entreprise qui a bien grandi depuis lors. Tellement même qu’elle fait de l’ombre à EMC à certains niveaux. Elliott Management, investisseur dans EMC, a du reste mis la pression sur cette dernière cet été en vue de se débarrasser de VMware, du fait précisément que celle-ci est entre-temps devenue gigantesque: elle a une valeur marchande de quasiment 39 milliards de dollars et fournit de plus en plus de pièces du puzzle IT.

Des disputes internes à propos de la filiale VMware semblent très probables

VMware pose un autre problème encore. Sa croissance est en train de ralentir au même rythme que s’accélère l’arrivée d’alternatives open source plus économiques dans les entreprises. Et devinez un peu qui est l’un des grands adeptes de ce genre de solutions réseautiques ouvertes? Dell bien sûr. Des disputes internes à propos de la filiale VMware semblent dès lors très probables. Ou y aurait-il encore d’autres scénarios possibles au sujet de VMware?

Tout bien considéré, l’on peut se poser la question de savoir si un accord portant sur des dizaines de milliards de dollars se défend encore dans un monde technologique changeant sans cesse plus vite, où le temps semble toujours passer un peu plus vite que la normale. Du temps qui manque du reste tant EMC qu’à Dell. EMC doit présenter ses résultats très bientôt. Or il faut évidemment faire la clarté sur ce genre de méga-accord. De son côté, Dell organise prochainement une grande conférence des utilisateurs au Texas. Data News y assistera aussi. Cela promet d’être une édition dont on se souviendra…

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