‘Nous devons accueillir les robots à bras ouverts et non pas les détruire’

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Selon Erik Brynjolfsson, co-auteur du livre ‘The Second Machine Age’, la société ne suit pas suffisamment vite les progrès technologiques.

Les Américains Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee étudient depuis les années nonante déjà l’impact de la technologie sur l’économie. Leur livre The Second Machine Age a donné une renommée mondiale à ce duo. Un an et demi après la publication, Brynjolfsson est encore plus optimiste vis-à-vis de tous les progrès technologiques. “Mais la société n’évolue, elle, pas assez rapidement”, prévient ce professeur de 51 ans dans une interview accordée dans les murs du fameux Massachusetts Institute of Technology.

Le titre de leur bestseller fait référence à la Révolution Industrielle en tant que première ère de la machine. Erik Brynjolfsson déclare en riant que le successeur est mieux que l’original: “Au dix-neuvième siècle, la technologie a amélioré la force musculaire de l’homme. L’homme et la machine se sont complétés. La machine à vapeur a même rendu partiellement superflue notre force musculaire.” Personne ne contestera que cela a représenté une véritable révolution au niveau de la planète. Mais la deuxième ère de la machine va, selon Brynjolfsson, aller beaucoup plus loin, parce que les tâches cognitives seront automatisées: “Les robots peuvent actuellement déjà prendre de meilleures décision que les humains. Ils vont remplacer la réflexion humaine. Au cours de cette deuxième ère de la machine, cette dernière va se substituer au cerveau de l’homme.” En raison de la croissance exponentielle de la puissance et de la capacité de calcul des ordinateurs, ce n’est, selon Brynjolfsson “que le début” de ce qui nous attend.

“Il y a dix ans, l’on ne pouvait pas parler avec les machines. Aujourd’hui, cela ne se fait pas encore parfaitement, mais d’ici quelques années, cela deviendra une routine: les machines nous comprendront et exécuteront nos instructions. Nous parlerons alors de voitures sans conducteur qui transporteront des passagers ou nous apporteront des pizzas à domicile. Ou de machines qui pourront mieux prodiguer des conseils médicaux, financiers ou juridiques que les humains. Ce sera un changement fondamental. Qu’une machine s’empare de notre cerveau, ce sera un phénomène nouveau et manifestement plus important que le remplacement de notre force musculaire lors de la première ère de la machine.”

Tout le monde ne croit pas qu’il sera question d’un glissement des rapports historiques, comme ce fut le cas avec l’invention de la machine à vapeur lors de la première ère de la machine. Dans sa chronique parue dans le journal New York Times, Paul Krugman avait écrit plus tôt cette année: “Nous devons ralentir cette vague. Toute cette ère numérique, étalée sur plus de quatre décennies, est une déception. De quoi faire la une des journaux, mais avec des résultats économiques modestes.” Et Krugman n’est pas le seul. L’économiste renommé Robert Gordon est aussi de cet avis. Et dans une opinion publiée dans Foreign Affairs, cet été, le coryphée du Financial Times Martin Wolf déclarait douter fortement de l’importance économique de la nouvelle technologie. Il qualifiait ainsi Facebook et l’iPad de nettement moins importants que le frigidaire, l’électricité, le WC et l’eau de ville. L’énergie est encore et toujours issue de combustibles fossiles, et les gens ne voyagent pas beaucoup plus vite qu’il y a un demi-siècle.

Chevaux de trait

Brynjolfsson estime qu’il est injustement considéré comme un techno-utopiste: “Je suis un grand optimiste à propos de la technologie et de ce qui nous attend dans les dix prochaines années. Des gens nous ont traité de m’as-tu-vu à propos des passages de notre livre traitant des voitures autonomes. Que c’était de la fiction imbécile. Si je devais réécrire l’ouvrage, je serais encore plus agressif sur le fait que la technologie nous prend de plus en plus de vitesse.”

Mais les auteurs indiquent aussi clairement que la société dans son ensemble paiera le prix fort. Brynjolfsson et McAfee concluent en effet que la moitié des Américains verront leur emploi mis sur la sellette ces vingt prochaines années. La globalisation fera en outre aussi de nombreuses victimes dans les pays en voie de développement. Les multinationales ont transféré des travaux simples dans des pays à bas salaires. Mais les robots pourront les accomplir aisément. Ces développements engendreront de vifs débats en politique, dans les entreprises et dans la société en général.

Les magazines d’affaires Harvard Business Review et Foreign Affairs consacrent cet été pas mal d’attention à la robotisation avec des contributions des deux auteurs du bestseller. Foreign Affairs se trouve sur le bureau de Brynjolfsson. Hi, Robot, peut-on lire en couverture. Son article est illustré par une photo en noir et blanc d’une voiture de pompier tirée par deux chevaux. Suite à l’invention du moteur à combustion, fin du dix-neuvième siècle, ces chevaux de trait sont devenus complètement superflus. En 1900, les Etats-Unis comptaient 21 millions de ces chevaux, dont il ne restait plus que 3 millions en 1960. “Nous devons accueillir les robots à bras ouverts. Les gens ne suivront certes pas le destin des chevaux de trait. L’on n’en arrivera pas à cette extrémité, mais ils doivent se préparer.”

L’homme a intérêt à prendre soin des robots et des machines plutôt que de les détruire. “Nous devons saluer comme il se doit les changements et l’avenir. Protéger les chauffeurs de taxi contre Uber est une mission pernicieuse.” Mais cela ne signifie pas que les gens doivent regarder passivement la manière dont leurs emplois vont disparaître. “Nous devons dialoguer avec nos responsables politiques, avec ceux qui déterminent ce qui se passe dans les entreprises, ainsi qu’avec nos enfants. Les gens peuvent s’insurger.”

Gerben van der Marel à Cambridge

(Source: Trends)

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