Les médias sociaux ressuscitent des langues mortes

Internet, les téléphones mobiles et les médias sociaux ressuscitent de manière tout à fait inattendue des langues moribondes. En Inde, des linguistes sont en tout cas enthousiastes à propos des premiers résultats.

Internet, les téléphones mobiles et les médias sociaux ressuscitent de manière tout à fait inattendue des langues moribondes. En Inde, des linguistes sont en tout cas enthousiastes à propos des premiers résultats.

En langage des Bhatu Kolhati, une peuplade nomade reculée de l’état indien du Maharashtra, tatti signifie thé et viande en abondance. Mais Kuldeep Musale (30 ans) se souvient encore à peine de sa langue maternelle. Depuis sa sixième année, il a en effet fréquenté des pensionnats et parle à présent les langues indiennes principales: hindi, marathi et anglais.

Ses ancêtres étaient des musiciens et danseurs traditionnels. Lui pas. Il travaille à Pune, à 150 kilomètres du chef-lieu de la province, Mumbai. “Lorsque vous n’entendez plus parler une langue, vous l’oubliez”, dit-il.

Des chansonnettes sur le smartphone

Grâce au téléphone mobile, il peut à présent dialoguer avec ses parents qui habitent encore au village. Il conserve ainsi le contact avec sa langue maternelle. En outre, il la réapprend.

Chaque fois qu’il rente chez lui pendants les vacances, il enregistre des chansonnettes et les voix des anciens du village avec son smartphone.

C’est une époque passionnante pour les linguistes. La technologie ressuscite des langues qui se meurent, disent-ils. Les instruments numériques peuvent à tout le moins archiver les langues. Cela porte déjà ses premiers fruits.

Rester dans leur zone linguistique

“L’Inde connaît une croissance étonnante des langages non protégés et parlés par des minorités”, affirme Ganesh Devy, responsable du People’s Linguistic Survey of India. Des langues comme le mangeli, l’hadoti ou l’haryanvi, qui sont parlées par quelque quatre mille personnes, étaient menacées, mais elles sont à présent de nouveau assez souvent utilisées.

“Avant, les villageois pensaient qu’ils n’auraient accès à la vie moderne que par une autre langue. Mais grâce à la technologie, ils peuvent désormais rester dans leur zone linguistique, tout en se sentant quand même connectés à la vie moderne.”

Les linguistes ont depuis longtemps déjà remplacé leurs carnets de notes et cassettes par des appareils numériques qui enregistrent l’image et le son. A présent, les communautés locales les utilisent aussi toujours plus souvent.

En raison du succès de l’internet mobile en Inde, toujours plus d’instruments numériques peuvent être utilisés, tels les médias sociaux, les applis mobiles, les jeux interactifs et les dictionnaires en ligne.

Les langues les plus menacées

En Inde, 122 langues sont officiellement parlées, mais en réalité, il y en a ou avait 780. Ces cinquante dernières années, 220 ont disparu, déclare Devy, qui a cartographié toutes les langues indiennes. Avec 197 langues menacées, l’Inde occupe la première place de la liste dressée en la matière par l’Unesco.

Devy compare la démographie et la densité linguistique de l’Inde avec celles de la Papouasie-Nouvelle Guinée, de l’Indonésie et du Nigeria. Mais l’Inde parvient à ressusciter ses langues moribondes.

Le bhilli par exemple a crû de 85 pour cent en vingt ans. Le khasi, le garo, le koya et le tripuri sont également parlés par toujours plus de personnes. La langue écrite a perdu beaucoup de traditions orales. Mais grâce à des “instruments simples, abordables et populaires” comme le téléphone mobile, la radio et la vidéo, ces langues peuvent à présent survivre.

Pour Machung Lalung (28 ans), sa langue maternelle, le tiwa, est synonyme des routes boueuses et des lampes en terre de son village Karbi Anglong situé dans le nord-est de l’état d’Assam. “Si vous connaissiez l’anglais et l’hindi, vous étiez intelligent et vous aviez un avenir.” Voilà pourquoi, lorsqu’il était ado, il déménagea à Delhi pour travailler dans un centre d’appels.

“Lorsque je regarde aujourd’hui des vidéos musicales sur YouTube et que j’envoie des SMS à mes amis en utilisant des mots de tiwi en anglais, je me sens nostalgique, mais pas étranger.”

Dictionnaires parlants

La technologie aide les langues qui disparaissent, “mais il n’y a pas de solution rapide”, prévient Greg Anderson, directeur du Living Tongues Institute.
Selon un rapport de McKinsey & Company de 2012, l’Inde est au bord d’un véritable boum internet. Avec 120 millions d’internautes, l’Inde a dès à présent la troisième plus grande population internet au monde.

D’ici l’an prochain, elle grimpera à la deuxième place avec pas moins de 320 millions d’internautes et ce, du fait des appareils mobiles et de ce que le coût de l’accès à internet diminue sans cesse.

Anderson et K David Harrison ont mis en ligne huit dictionnaires parlants dans le cadre de l’Enduring Voices Project de la National Geographic Society et du Living Tongues Institute. Ces dictionnaires contiennent plus de 32.000 mots, notamment en ho et en remo, deux langues indiennes.

Vertu thérapeutique via YouTube

Un dictionnaire similaire va aussi sortir pour le koro aka, qui est parlé à Arunachal Pradesh. Cette langue était précédemment passée inaperçue auprès des scientifiques et n’apparaissait pas non plus dans les relevés de la population.

“Les Koros utilisent à présent pleinement la technologie numérique pour aider leur langue à survivre, tout en conservant leurs valeurs et connaissances traditionnelles”, prétend Harrison. Ils partagent à présent des vidéos sur YouTube à propos de plantes à vertu thérapeutique, de perles et de mythes.

Médias sociaux autochtones

Grâce aux médias sociaux, les gens peuvent utiliser leur propre langue de manière plus créative, selon Kevin Scannell, linguiste à la St Louis University américaine. Nombre de messages sur Facebook et Twitter sont rédigés en anglais ou dans une autre langue dominante, mais l’on voit à présent toujours plus de messages écrits dans des langues très modestes.

Son site web Indigenous Tweets suit 62.000 utilisateurs qui tweetent en 153 langues. 79 d’entre elles sont menacées, dont 6 en Inde: le khasi, le lushai, le karbi, le mara chin, le thado chin et le Tulu.

Les médias sociaux regroupent de petites communautés linguistiques éparses. Et ils offrent aux élèves l’opportunité de parler directement avec des gens dont c’est la langue maternelle.

Les médias sociaux sont généralement écrits, alors que beaucoup de langues autochtones sont des traditions orales. Voilà qui explique l’existence de sites web tels SpeakTalkChat, qui ciblent les chats vidéo dans les langues menacées.

Applis pour langues autochtones

Les applis mobiles pour langues autochtones deviennent également populaires. Un bon exemple a pour nom First Voices Chat, selon Scannell: “En fait, elle offre un peu plus qu’un bon clavier avec lequel les gens peuvent taper dans leur propre langue sur un appareil mobile.”

Darrick Baxter a développé une appli pour l’ojibwe, une langue autochtone d’Amérique du Nord. Le code-source est ouvert, afin que d’autres groupes ne doivent pas partir de zéro, s’ils veulent mettre au point une appli similaire. (IPS/MI)

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