“Les investisseurs européens aiment surtout leurs fichiers Excel”

Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

“Les investisseurs européens disposent d’argent, mais n’ont pas l’habitude d’en injecter dans des startups web”, suggèrent Vala Halldorsdottir et Sesselja Vilhjalmsdottir.

“Les investisseurs européens disposent d’énormément d’argent, mais n’ont pas l’habitude d’en injecter dans des startups web”, suggèrent Vala Halldorsdottir et Sesselja Vilhjalmsdottir. Ces deux jeunes Islandaises étaient de passage en Belgique pour promouvoir leur documentaire ‘The Startup Kids’.

Lorsque l’Islande tomba en faillite en 2009, Vala Halldorsdottir et Sesselja Vilhjalmsdottir ont elles aussi perdu leur emploi. Mais ces jeunes femmes ne sont pas restées les bras croisés et ont même saisi… l’opportunité de la crise pour démarrer une petite entreprise vendant des jeux de société en carton. Ce n’était pas mal vu de la leur part car depuis la faillite de leur pays, beaucoup de gens se retrouvèrent sans occupation à la maison et donc, une ergothérapie amusante ne pouvait leur faire de tort, au contraire. Et ce qui devait arriver, arriva: les jeux de société se vendirent comme des petits pains.

“Comme nos premiers pas dans l’entreprenariat s’avérèrent assez fructueux et ce, dans un pays proche de l’anéantissement, nous souhaitions motiver d’autres jeunes à prendre eux-mêmes leur sort en main et à entreprendre quelque chose”, explique Sesselja Vilhjalmsdottir. “C’est ainsi que nous est venue l’idée d’un documentaire. Et lorsqu’on réalise aujourd’hui un film sur l’entreprenariat, l’on aboutit forcément chez des entrepreneurs internet. Notre nouvelle startup est elle aussi un projet en ligne. Toute cette scène de startups en ligne est incroyablement passionnante. Il n’a jamais été non plus aussi facile de lancer une activité qu’aujourd’hui. Il suffit d’un ordinateur portable et d’une connexion internet.”

Halldorsdottir et Vilhjalmsdottir ont assisté ce jeudi à la projection de The Startup Kids à Mont-Saint-Guibert, lors d’un événement très couru, organisé par le start-up accelerator wallon Nest’Up, ‘coworking hub’ Rue De Web et Café Numérique (#StartupHeroes). Le film comprend des interviews des fondateurs de Vimeo, SoundCloud et Dropbox notamment, approfondit la façon dont ces personnes ont lancé leur entreprise, et montre comment ils ont appris chaque fois à rebondir au niveau de l’entreprenariat.

Les initiatrices ont réuni une grande partie du budget pour leur documentaire (23.000 dollars) par le biais de la plate-forme américaine de ‘crowdfunding’ Kickstarter. Cela leur assura une grande visibilité dans les médias américains, ce qui fait que les deux amies parcourent à présent le monde entier pour des projections de leur documentaire.

Et comme cela ne suffisait pas, les deux amies âgées de 27 ans sont pleinement occupées actuellement à lancer Kinwins sur le marché, “une appli de ‘gamification’ pour l’iPhone qui transforme votre vie en un jeu. Vous faites savoir à vos contacts sur quoi vous êtes occupé, et vous tentez constamment d’améliorer vos compétences. Les utilisateurs doivent être motivés pour faire toujours mieux.” La nouvelle appli est actuellement testée en Islande, mais l’objectif est clairement de s’internationaliser le plus rapidement possible.

Pour The Startup Kids, vous avez parlé avec de nombreux entrepreneurs internet à succès, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Quel est leur secret?

Sesselja Vilhjalmsdottir: “Les entrepreneurs sont aussi ambitieux à Londres qu’à San Francisco, à ce niveau, il n’y a aucune différence: tout le monde veut créer quelque chose de sensationnel. Ce qui était aussi très clair des entretiens que nous avons eus, c’est que tout un chacun était passionné et accroché à son idée, parfois même jusqu’à l’extrême. Il faut alors travailler dur et ne penser à rien d’autre. Et il faut oser prendre des risques évidemment. Just do it!”

Deux villes jouent un rôle essentiel dans le documentaire: San Francisco et Berlin. Quelle ville choisir, lorsqu’on veut lancer une entreprise?

Vala Halldorsdottir: “Le grand avantage de San Francisco, c’est qu’elle offre un écosystème bien développé et professionnel avec des entrepreneurs et des capital-risqueurs qui savent d’où vient le vent et qui n’en sont pas à leur première expérience. Mais Berlin a aussi des atouts à faire valoir, puisqu’on y trouve énormément de talent réuni, et que les conditions de résidence et de travail y ont favorables.”

“En Europe de l’Est, un grand nombre de développeurs relativement abordables sont aussi disponibles, ce qui n’est pas du tout le cas dans la Silicon Valley. Les programmeurs et designers y sont devenus hors de prix, ce qui plaide une fois encore en faveur de l’Europe.”

Sesselja: “Beaucoup de choses dépendent de votre activité même. Il est préférable que les starters B2B soient proches de leurs clients et souvent, c’est en Europe que cela se passe. Et les petites entreprises B2C doivent pouvoir atteindre le plus grand marché possible et un nombre aussi large que possible d’utilisateurs influents, ce qui joue peut-être en faveur des Etats-Unis. Si vous voulez récolter de l’argent, mieux vaut vous trouver en Californie, même si vous n’allez pas vous y installer. Nombre de starters européens gardent leurs développeurs en Europe et envoient une équipe de vente et de marketing aux Etats-Unis.”

Quels sont les principaux obstacles pour nos entrepreneurs européens?
Sesselja: “Le ‘funding’, le manque d’argent. C’est ce qu’on entend partout. En Europe, le starter a besoin d’un business plan en béton, alors qu’aux Etats-Unis, il suffit de montrer un prototype aux investisseurs. Les investisseurs européens aiment surtout leurs fichiers Excel. Les calculs doivent être corrects. Mais chez les startups, il faut aussi oser suivre ses sensations. Tout ne peut être prédéterminé et pré-calculé.”

“Un autre problème, c’est la mauvaise connaissance de l’anglais. Aux Etats-Unis, tout le monde parle la même langue, mais en Europe, il y a tellement de gens qui ne maîtrisent pas l’anglais. Dans le prolongement de ce qui précède, il y a aussi les regrettables divisions en Europe. Si vous tentez de créer une entreprise en Allemagne, il ne faut en fait pas nécessairement s’internationaliser car le marché allemand est suffisamment vaste. Le fait que beaucoup d’Européens pensent encore et toujours localement, joue en leur défaveur.”

Vala: “Aux Etats-Unis, tout le monde essaie de vous vendre quelque chose. Mais en Europe, l’on vous toise, quand vous crânez. Nos entrepreneurs sont trop modestes, ils doivent oser se mettre en exergue. Les Américains disent qu’ils veulent conquérir le monde, et les Européens disent qu’ils veulent vivre leur passion. Nous devons oser penser davantage comme les Américains.”

Dans votre film, l’on affirme qu’il y a suffisamment d’argent en Europe, mais que nos capital-risqueurs n’ont pas l’habitude d’en injecter dans les startups web.
Sesselja: “Je le répète: le problème en Europe, c’est qu’il est bien difficile d’obtenir de l’argent. Ou de récolter du ‘capital intelligent’ de la part d’angels expérimentés qui peuvent vous aider à progresser.”

“Il n’existe pas de tradition européenne d’investir dans des projets web. Qui plus est, les investisseurs ne savent pas comment fonctionnent les startups web, quelles sont leurs possibilités et comment elles peuvent évoluer sur la scène internationale. La seule chose qui les intéresse, c’est de savoir si la petite entreprise pourra atteindre le seuil de rentabilité dans l’année qui suit. Or dans la plupart des cas, ce n’est pas possible. Lancer un produit sur le marché demande du temps et de l’argent. Tout comme il faut de l’argent pour pouvoir atteindre un grand marché. Nos capital-risqueurs doivent apprendre à être plus patients.”

Vala: “En Islande, l’on tente de trouver une solution. Des cours sont ainsi organisés pour les investisseurs, où on leur apprend des choses sur les entrepreneurs internet. A quoi ils doivent faire attention, lorsqu’ils veulent investir. C’est vrai, je n’invente rien. Peut-être que ce serait intéressant d’introduire ces cours aussi sur le Ccontinent.”

Sesselja: “Mais bon, les choses se sont entre-temps quelque peu améliorées. Ces dernières années, il y a eu quelques entrepreneurs européens qui ont connu le succès, et l’argent ainsi gagné est réinjecté dans l’écosystème local. Sur ce plan, l’avenir semble être quand même plus rose.”

Vous avez parlé avec les lauréats de la première édition de Nest’Up. Quelle a été votre impression?
Sesselja: “Nous avons été enthousiasmées par la qualité des starters. Il y avait là quelques projets qui pourraient même s’imposer à l’échelle mondiale. Famest par exemple, ou Snugr, qui aide les gens à économiser l’énergie, l’un des grands défis actuels. Mais pour pouvoir vraiment lancer ce genre de choses sur le marché, il faut évidemment énormément d’argent. Ces jeunes le trouveront-ils vraiment?”



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