Le Japon et les zombies: voici pourquoi Toshiba ne peut disparaître

Le comic qui a inspiré la série télé The Walking Dead © The Walking Dead/Charlie Adlard
Els Bellens

Après l’annonce d’une perte de plusieurs milliards d’euros l’année dernière, l’avenir du géant de l’électronique semble incertain. Il y a cependant de fortes chances pour que l’entreprise japonaise continue d’exister, le cas échéant en tant que membre le plus connu de ce qu’on appelle la ‘horde de zombies’.

Après Foxconn et, selon les rumeurs, Google, Western Digital s’intéresserait elle aussi à la division des puces de Toshiba. Voilà une bonne nouvelle pour la direction de celle-ci, qui recherche depuis quelque temps déjà du cash pour garder la tête hors de l’eau. Même si la division des puces – l’un des départements les plus prometteurs – est vendue, cette même direction n’en possédera pas moins encore une entreprise qui tourne mal. Plus tôt ce mois-ci, Toshiba avait annoncé ces quelques milliards d’euros de perte, tout en expliquant que l’avenir était incertain. Le risque de faillite est toutefois réduit. Il est assez probable que les pouvoirs publics chinois l’en empêcheront.

Comment en est-on arrivé là?

Toshiba ne se porte pas bien. Il y eut d’abord les scandales comptables, d’où il est apparu que l’entreprise avait manipulé ses chiffres de bénéfice pendant des années. Ensuite, il y eut le rachat raté de l’américaine Westinghouse, qui valut à Toshiba quelques milliards de yens de perte. Et c’est alors que l’entreprise dut postposer plusieurs fois la publication de ses chiffres trimestriels et ce, jusqu’à ce que quelqu’un ait déterminé correctement la profondeur du trou financier.

Dans un pays où arriver deux minutes en retard peut valoir une sérieuse remontrance sociale, la postposition de la publication des résultats fut à tout le moins considérée comme inacceptable. Terminée la confiance du marché des actions! Toute la direction de l’entreprise a été entre-temps remplacée, mais les problèmes ne sont pas résolus pour autant. Surtout à présent que trois banques nippones indiquent qu’elles pourraient porter plainte contre Toshiba pour diverses affaires intolérables précédentes.

Toshiba
Toshiba© .

‘The Walking Dead’

Le risque que Toshiba, malgré ses erreurs directoriales à rebondissements et son manque de technologies rentables, tombe en faillite, est cependant faible. Celui que le géant technologique autrefois prestigieux vienne s’ajouter à la horde des entreprises zombies qui tourmentent l’économie japonaise, est par contre nettement plus grand.

Ces entreprises zombies sont en principe des organisations en perte qui seraient depuis longtemps en faillite dans la plupart des pays occidentaux, mais qui peuvent continuer d’opérer, parce qu’elles reçoivent toujours de nouveaux prêts au pays du soleil levant. Le label ‘zombie’ serait aujourd’hui déjà apposé sur des milliers d’entreprises, et c’est là une stratégie économique qui est considérée par d’aucuns comme la base de la déflation récurrente dans ce pays. Le journal Japan Times notamment qualifie les entreprises zombies de responsables des ‘années perdues’ de l’économie japonaise, un pays où le marché croît à peine et où les prix restent bas, tout comme la confiance des citoyens dans leur avenir.

Le principal zombie japonais

Comment un pays peut-il compter autant de zombies? Poser la question, c’est y répondre. Si Toshiba se trouve au bout du rouleau au cas où elle ne parviendrait par exemple pas à revendre sa division des puces et qu’elle n’arriverait pas à se relever d’elle-même, elle pourrait encore solliciter un bailout de la part de l”Innovation Network Corporation of Japan’ ou de l”Enterprise Turnaround Initiative Corporation’, deux instances gouvernementales créées pour soutenir les firmes en difficultés. Ce sont ces deux instances qui ont garanti également la pérennité du fabricant électronique en perte Sharp, de même que le constructeur automobile Mistubishi, le fournisseur d’énergie TEPCO et le producteur d’airbags Takata.

Le gouvernement a sauvé TEPCO et va aussi permettre à Toshiba de survivre.

Les ressemblances avec les entreprises susmentionnées sont du reste singulières. Toshiba a menti à propos de ses marges bénéficiaires, alors que TEPCO est connue comme le fournisseur d’énergie à l’initiative du réacteur de Fukushima, qui, en raison d’une carence de procédures sécuritaires, a provoqué une véritable catastrophe. Pour sa part, Mistubishi a également été au coeur d’un scandale, où la consommation en carburant de ses voitures avait été fortement sous-estimée. De même le producteur d’airbags Takata a aussi dû composer avec un scandale en matière de sécurité. Le message est clair à chaque fois. Une bonne gestion de l’entreprise, voire seulement une base de bonne gouvernance n’est pas nécessaire pour s’en sortir. Et cela peut compter au niveau de la motivation des top-managers. “Le gouvernement interviendra quasi à coup sûr pour sauver l’entreprise”, comme l’explique à la BBC Amir Anvarzadeh de BGC Partners à Singapour. “Il a sauvé TEPCO et va aussi permettre à Toshiba de survivre. Il ferait pourtant mieux de la laisser mourir.”

‘Too big to fail’

Le fait qu’il y ait autant d’entreprises japonaises à sauver, est dû à la stratégie économique appliquée par le gouvernement, ce qu’on appelle l”Abenomics’. En résumé, les grandes entreprises nippones disposent du même statut que nombre de banques après la crise financière. Elles sont ‘too big to fail’ (trop grandes pour échouer). On ne peut toucher ni à l’argent des actionnaires, ni aux emplois des travailleurs.

Shinzo Abe
Shinzo Abe© Reuters

Echouer dans ce pays n’est donc pas une option, semble-t-il. L’année dernière, aucune entreprise japonaise cotée en Bourse n’a ainsi fait faillite. Le nombre de faillites est du reste en diminution constante depuis huit années consécutives. C’est là un argument brandi notamment par le premier ministre japonais Shinzo Abe comme un signe de succès économique et la conséquence d’une importante mesure prise après la crise économique. En 2009, au moment où les banques renforçaient dans certains pays leurs règles d’aide financière, le ministre japonais des finances de l’époque Shizuka Kamei avait fait voter par le Parlement une loi obligeant les institutions financières à se montrer aussi flexibles que possible vis-à-vis des demandes de prolongement de crédits de la part des plus petites entreprises. Et même si cette loi n’est plus appliquée entre-temps, elle reste encore et toujours bien ancrée dans les esprits avec des milliers d’entreprises qui ne réalisent pas de bénéfice suffisant pour payer des impôts, mais qui continuent néanmoins d’opérer.

L’idée sous-jacente à nombre de ces entreprises, c’est de ‘ne pas abandonner’ et elle vaut doublement pour les grandes. Ces dernières reçoivent massivement des prêts intéressants pour leur permettre de subsister. Le fait que Toshiba perde des milliards et tente avec l’énergie du désespoir de convaincre les investisseurs de ce qu’elle va se sauver par elle-même, ne pèse pas lourd à côté du prestige que l’entreprise représente pour le pays et des gens à qui elle donne de l’emploi, soit 180.000 au niveau mondial.

Concurrence déloyale

C’est cependant là une stratégie qui est loin de faire l’unanimité. Ces entreprises zombies avec leurs prêts extrêmement avantageux obstruent, et c’est peu de l’écrire, l’innovation et, surtout, le jeune entreprenariat. Le nombre d’entreprises débutantes est très réduit au Japon, selon une étude effectuée par l’OCDE. Le nombre de startups au Japon serait de quelque 5 pour cent, selon un cabinet d’analystes, un tiers inférieur à ce qui se passe dans des pays comparables.

“C’est une situation très malsaine”, affirme un expert économique du Fujitsu Research Institute à Tokyo, au Japan Times. “Le cycle économique ne fonctionne pas au Japon. Si une ancienne entreprise ne s’arrête pas, il n’est pas possible d’en démarrer une nouvelle. Il manque tout simplement de place. Les anciennes entreprises jouent toujours sur les prix parce qu’elles le peuvent.”

Le cycle économique ne fonctionne pas au Japon.

Les jeune startups, qui respectent les règles du libre marché, comme le veut la théorie, en créant des produits que les gens veulent, en engrangeant du bénéfice et en gardant leur comptabilité en ordre, doivent affronter les pouvoirs publics et un cadre de méga-entreprises, qui ne se formalisent guère de ces règles. “C’est une concurrence déloyale”, prétend à l’agence Bloomberg Toru Fujimori de l’analyste en crédits Teikoku Databank. “Ces grandes entreprises ne versent pas d’intérêt. Elles ne paient pas d’impôts. A contrario, les firmes plus saines, elles, sont contraintes de payer, alors qu’elles doivent maintenir leurs prix bas sous la pression de ceux appliqués par leurs concurrentes plus grandes.”

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire