Ben Caudron

La transparence? Volontiers

Ben Caudron Sociologue et auteur, passionné par les humains et la technologie.

Incrédulité et gratitude. Tels ont été les sentiments que j’éprouvai à la lecture de la chronique ‘La sécurité dans la solidarité’ de Saskia Van Uffelen (Data News, 25 février 2015).

La gratitude découlait de l’opinion de ma collègue sur l’analyse critique des sources. J’en avais justement terminé avec la partie théorique et je recherchais un cas sur lequel mes étudiants pourraient se casser les dents. Et je ne pouvais trouver mieux que la chronique écrite par Van Uffelen. Non seulement, quasiment chaque élément de la critique des sources peut ainsi être explicitée, mais le sujet lui-même – l’innovation technologique – adhère à l’univers mental de mes étudiants.

Et l’incrédulité émanait de mon estime pour madame Van Uffelen, qui est et reste très grande. Ce que je venais de lire, je ne pouvais pas le cadrer avec l’image que j’ai d’elle. Je la considère en effet comme intelligente – et ‘intelligente’ signifie pour moi ici bien autre chose que le même terme utilisé dans ‘le monde intelligent’ – et n’a rien à voir avec le radotage vide de sens si caractéristique des évangélistes technologiques.

Les analyses critiques de textes examinent comment une argumentation est construite, comment des thèses sont formulées, quels arguments sont avancés, quelles conclusions sont tirées, quelles références à une réalité externe sont utilisées, quelles suppositions sur les causes de situations prétendues ou non sont défendues.

Van Uffelen esquisse directement cette situation dans le préambule de sa chronique. Le motif de son opinion réside dans le contraste entre son expérience positive de sa visite à Stockholm et la situation qu’elle estime percevoir en Belgique. Cette situation, elle la brosse sur base de l’émotion qui s’est manifestée, lorsqu’il s’est avéré que la Smart TV de Samsung ne respecte guère la vie privée des gens.

J’ai beau essayer de toutes mes forces, je ne trouve pas confirmation de l’existence de ces interminables débats sur le respect de la vie privée.

Tout cela induit la prise de position selon laquelle “la Belgique menace de s’enliser dans d’interminables débats sur le respect de la vie privée et l’utilisation des données en ligne, alors que l’on aspire vivement à la numérisation, à un monde et à une économie connectés.”

Au contraire même. En comparaison avec d’autres pays – les Pays-Bas pour ne citer qu’eux -, il manque nettement de débats chez nous. L’on n’y recense guère plus que des déclarations occasionnelles et brèves d’incompréhension, lorsqu’il apparaît une fois encore que des géants technologiques peuvent poursuivre sans aucun problème leur façon de faire, sans tenir compte du respect de la vie privée. Même les petits apartés si médiatisés entre Tommelein et Facebook ou l’attitude courageuse de la commission vie privée qui précéda des apartés, peuvent être difficilement qualifiés “d’interminables débats” et absolument pas de cause de notre apparente impuissance à “devenir le pays moderne et d’avant-garde que nous voulons être”.

Vraiment intelligent?

Le fait que la chronique mentionne le prédicat vide ‘intelligent’ aurait été un détail susceptible de disparaître dans les méandres de la compassion, si ce n’était l’existence d’un autre truc discursif. ‘Intelligent’ y est en effet assimilé à ‘mieux’. Il convient alors non seulement d’expliciter ce qui rendrait exactement intelligents les capteurs de communication (j’ai déjà abordé ailleurs cette considération de manière plus circonstanciée), mais aussi pourquoi ‘plus intelligent’ serait aussi meilleur. Certaines applications rendent sans aucun doute meilleure la vie de diverses catégories de gens, mais cela ne garantit pas qu’il en soit ainsi pour chaque application. A moins que meilleur signifie dans ce cas ‘meilleur pour le retour sur investissement’.

Van Uffelen fait observer que la transparence est une notion cruciale dans le débat sur le respect de la vie privée, qui doit être mené de manière plus urgente que jamais. Et elle est soutenue par des experts tels Helen Nissenbaum, qui apporte davantage d’idées permettant d’actualiser ce débat, comme Van Uffelen le suggère. Malheureusement, je ne peux me départir de l’impression que Van Uffelen est moins intéressée par le débat proprement dit que par une seule issue spécifique: une dérégulation, afin que la faim d’information insatiable des fournisseurs technologiques et des services publics opérant illégalement ou non puisse être assouvie.

Il appartient aux entrepreneurs de plaider pour un contexte juridique qui veille au maximum à leurs intérêts professionnels. Le débat serait cependant plus agréable, plus ouvert et plus transparent, s’ils pouvaient le faire en termes clairs et ne pas tenter d’inverser la réalité. Ce sur quoi je suis tout à fait d’accord avec Van Uffelen, c’est que nous avons besoin d’un nouvel équilibre temporaire. J’espère dès lors aussi que nous pourrons mener le débat nécessaire pour y arriver, mais dans ce cas avec tous les acteurs de la société et leurs intérêts respectifs. Ce n’est qu’ainsi que nous pousserons vraiment la chance pour que nos innovations puissent générer un monde meilleur.

Ben Caudron est sociologue et auteur de “Niet Leuk? Mijmeringen over nieuwe media, mensen en macht“.

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