L’avenir de la technologie: utopie ou cauchemar ?

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Nous vivons à l’ère de l’exponentiel. Les CEO et CIO sont submergés de notions telles que rupture. On en succomberait pour moins à la panique. Doit-on vraiment craindre l’avenir ?

” On constate une forme de tension, reconnaît Peter Hinssen durant son discours inaugural de l’Amazon Transformation Day à Utrecht. Les cinq plus grandes sociétés américaines cotées en Bourse sont actuellement des entreprises technologiques. La croissance exponentielle de la technologie a également un impact sur notre société. Songez à ING qui doit licencier 7.000 personnes du fait de la transformation numérique. Nous n’en sommes qu’à l’aube d’un choc culturel majeur. ” Jamais avare d’une phrase choc, Hinssen s’interroge dans la foulée : ” Qoui si nous n’en étions encore qu’à mi-chemin ? ”

Qoui si nous n’en étions encore qu’à mi-chemin ?

Certes, chacun s’accordera aisément à dire que les choses évoluent à un rythme effréné. Reste à voir comment se positionner dans ce contexte, explique encore Hinssen. ” Nous vivons à l’ère de l’information. Tout génère des données. Mais ce n’est que lorsque l’on transforme ces données en intelligence et que l’on automatise ces processus que l’on induit des changements majeurs. ” Et de citer l’exemple de l’intelligence artificielle. ” Voici exactement vingt ans, Deep Blue est parvenu pour la première fois à battre Garry Kasparov aux échecs. Cet ordinateur avait été construit à cet effet. L’IA est non seulement plus intelligente que l’homme, mais peut également mieux bluffer et mentir. Les possibilités vont bien au-delà de ce dont l’être humain est capable. ” S’il n’est pas le seul à partager cet avis, Hinssen considère que l’IA est l’une des technologies amenées à révolutionner le monde. ” Les entreprises en sont encore au ‘digital first’ alors que les entreprises plus intelligentes sont passées au ‘mobile first’. Tandis que l’on évoluera sans doute vers l’IA first’. Les temps sont à la fois passionnant et tendus. Car chacune de ces nouvelles technologies – IA, robotique, réseaux, etc. – peuvent être en même temps utopiques et dystopiques. ”

Et les ‘valeurs sûres’ ?

L’avenir paraît donc tout tracé. Mais comment une entreprise doit-elle réagir aujourd’hui ? Alors que les technologies émergentes évoluent à un rythme toujours plus rapide et que les start-up se développent pour présenter des offres différentes, meilleur marché, plus rapides, plus confortables ou meilleures que les entreprises établies, celles-ci se trouvent confrontées à une difficulté majeure. Pour rester dans la course, elles doivent en effet se réinventer, souvent en se faisant aider de l’extérieur. ” Nous travaillons pour les ‘incumbents’ “, précisait Jo Caudron de Duval Union Consulting durant sa présentation à l’occasion de la Digital Transformation Conference qui s’est tenue à Malines. ” En tant que consultants en transformation numérique, nous collaborons par exemple avec des entreprises du commerce du détail traditionnel. On pourrait croire que l’on travaille pour les ‘perdants’, mais si celles-ci s’adaptent, elles pourront réussir. ”

On pourrait croire que l’on travaille pour les ‘perdants

Il entre dans ses missions de cartographier la rupture et estime d’ailleurs que nous en sommes désormais à la troisième vague de ‘transformation’. ” Les deux premières ont été faciles à comprendre “, ajoute-t-il. A titre d’information, la première vague de transformation concernait essentiellement la vidéo et la musique. Toujours selon Caudron, les grands studios traditionnels et firmes de disques ont dû baisser pavillon face à de nouveaux entrants comme Spotify, Apple Music et Netflix. ” La musique et la vidéo sont faciles à numériser, dixit encore Caudron. Le risque d’analyser l’histoire sous cet angle est de ne pas s’intéresser à des secteurs qui sont plus sensibles encore. Nous nous situons désormais au milieu de la deuxième vague. Laquelle touche les médias imprimés, la TV, etc. Cette vague n’est pas encore terminée. C’est ainsi que nous ne savons pas encore quel sera l’avenir numérique des magazines et il est difficile de savoir quel leader du marché émergera. ” Et cette troisième vague ? Elle est encore difficilement prévisible. ” Certes, nous savons ce qui sera numérisé : la distribution, la finance, la santé, etc. Aucun secteur n’est à l’abri. Le défi consiste à le reconnaître, puis à réfléchir à la manière de le contrer, ou mieux d’avoir une vision de l’avenir. ”

La transformation numérique pour les débutants

Pour être prête face à ces évolutions constantes, toute entreprise se doit d’être ‘lean’ et ‘agile’, et d’acquérir une mentalité de start-up. Ce qui est loin d’être évident pour une entreprise de 500 ou 5.000 personnes installée dans un parc d’entreprises de la taille d’une ville, l’église et la friterie en moins. Le mot magique face à cette situation est actuellement la ‘transformation numérique’. Même s’il ne s’agit souvent guère plus qu’une ‘transformation métier’. Supprimer les aspects d’inefficience et de bureaucratie de l’organisation, remettre en place les pièces, huiler le moteur et c’est reparti. Tout en mettant en place des outils numériques, des logiciels, du cloud.

En l’occurrence, la ‘transformation’ est plus importante que l’aspect numérique, ajoute Caudron. Car migrer dans le cloud un système hérité et un gigantesque spaghetti de logiciels ne résout rien. ” Régler d’abord les fondements, estime Caudron. Tel est le point de départ. Mais c’est malheureusement très coûteux : si vous n’avez pas de stratégie en matière de données, si vous devez mettre à niveau votre ERP ou votre CRM, il vous en coûtera de l’argent. Mais il faut le faire, il faut de la gouvernance. ”

Régler d’abord les fondements. Tel est le point de départ. Mais c’est malheureusement très coûteux

Par ailleurs, il convient de remettre en cause la hiérarchie de l’entreprise, recommande Caudron. Ce qui est somme toute logique si l’on veut adapter toute une entreprise et son modèle commercial. Il ne suffit pas de se contenter de désigner une équipe de transformation numérique et d’espérer qu’une appli réglera tout. ” Il faut nommer un chief digital officer avec comme mandat de pouvoir changer les choses. Ce mandat est nécessaire pour être impertinent, pour ne pas suivre bravement les RH, l’IT ou le juridique. Sans un tel mandat, c’est l’échec assuré. Il faut travailler comme une start-up, considère toujours Caudron. Les idées les plus créatives sont asphyxiées par le plan d’entreprise. Une bonne idée ne peut en général pas s’appliquer telle quelle. C’est pourquoi il faut apprendre à exploiter les idées créatives comme le font les start-up. “

Le client veut tout

Quelle que soit l’option choisie, l’opération doit se traduire au final par un meilleur service à la client, ajoute Juan Gutierrez Botella, Europe Service Line Sales Lead chez Avanade. Si la notion de ‘client au centre’ est peut-être déjà considérée comme un thème quelque peu démodé, sa mise en oeuvre n’est est pas moins facilitée dans la mesure où le client est toujours plus ‘divers’. ” A terme, tout sera numérique. Mais l’équilibre entre les canaux physiques et numériques dépend d’une personne à l’autre et varie dans le temps notamment “, estime Gutierrez Botella. Et de citer l’exemple de la banque : la plupart des jeunes préfèrent effectuer leurs virements en ligne, alors que leurs parents choisissent plutôt d’aller à la banque. L’entreprise doit donc prévoir des canaux différents en fonction des clients.

A terme, tout sera numérique

Pour une grande entreprise, le défi est de taille, mais Botella propose plusieurs conseils pour réussir. ” Commencez par définir votre objectif. Quel type d’entreprise voulez-vous être, comment souhaitez-vous traiter vos collaborateurs et vos clients ? La finalité est différente d’une entreprise à l’autre. Il n’y a pas de vérité unique. Le meilleur CRM est et reste le barman de votre café. Car il sait en voyant votre visage s’il vous faut un whisky ou un café. ”

La manière de réagir d’une entreprise dépend même de l’emplacement où elle se trouve, poursuit-il. ” Ce qui ne fonctionne pas ? Un CEO qui voyage constamment et qui veut déployer en Belgique quelque chose qu’il trouvait bien au Japon. Cela ne marche pas, car il faut s’adapter au customer journey spécifique à chaque pays. Une idée doit correspondre à un contexte, apporter de la valeur. “

Innover comme Amazon

Lorsqu’il est question de transformation, on a tendance à parler de grandes organisations obligées d’innover et de se réinventer. Mais comment font les disruptors eux-mêmes ? Amazon occupe une position relativement unique puisqu’il s’agit d’une entreprise qui a révolutionné en un temps record plusieurs marchés tout en étant plus du tout une start-up. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, ‘innover’ est quelque chose que l’entreprise fait pratiquement de la même manière depuis des années, a expliqué Paul Misener, vp innovation chez Amazon dans sa présentation lors de l’AWS Transformation Day.

” Certains aspects de l’innovation reposent certes sur la chance, confie-t-il d’emblée. Parfois, on découvre par hasard une nouvelle technologie. Mais c’est impossible à long terme. ” Pour soutenir durablement l’innovation, il faut expérimenter, considère Misener. Et pour expérimenter, il faut pouvoir échouer. L’échec fait partie intégrante de l’innovation chez Amazon. Nous avons fait plusieurs paris majeurs chez Amazon. Et si les choses tournent parfois mal, il apparaît que plusieurs paris ont permis de déboucher sur un grand succès. ”

Le truc des pizzas

Question suivante : combien de personnes travaillent sur un tel projet ? Pour trouver le bon équilibre, Amazon applique le principe de la pizza. Ou plutôt de la double pizza. ” Pour chaque problème, nous mettons en place que l’on peut facilement nourrir avec deux pizzas, explique encore Misener. Nous ne fixons pas de chiffre précis, car nous devons pouvoir ajouter aisément de nouvelles personnes, notamment s’il faut au cours du projet prévoir une expertise en IA. Mais il faut un nombre maximum, car à partir d’un certain point, la communication n’est plus pratique. ”

Autre truc : le rapport de six pages. ” Chez Amazon, nous ne basons aucune de nos décisions sur des présentations Powerpoint, précise Misener. Chaque idée est synthétisée en six pages qui sont simplement lues par les participants durant la première demi-heure de réunion. Après quoi la discussion est lancée et une décision est prise. ” Cette approche présente plusieurs avantages selon Misener. ” Cela force chacun dans la salle à lire le document et chacun est dès lors au même niveau. Et personne n’est au courant depuis longtemps déjà et n’a déjà pris de décision. En outre, cela implique prosaïquement que chacun doit prendre position. ” Le raisonnement est le suivant : un texte comprend beaucoup plus d’informations qu’une liste de points. Et les idées sous-jacentes de l’auteur ressortent mieux.

Enfin, ce constat : ” Lorsque nous voulons faire quelque chose de nouveau, nous rédigeons d’abord un communiqué de presse et un FAQ “, remarque encore Misener. Une manière selon lui de garder l’objectif en ligne de mire. ” Le texte est aussi rédigé dans la langue du client, mais sous forme de descriptions techniques. Car il importe au final d’expliquer au client ce qu’est l’objectif de chaque produit ou service. Dans le même temps, nous devons inventer des choses qui n’existent pas encore. Mais toute la technologie développée pour ce faire est notre problème. Le client doit uniquement recevoir le produit final, produit qui doit fonctionner. “

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