Kroes: “Excluons les gens ayant un double agenda du conseil d’administration de l’Icann”

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Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

“Une organisation comme le gestionnaire international des noms de domaine Icann est nécessaire”, a expliqué à Data News Neelie Kroes, commissaire européenne, en marge de l’IGF Meeting organisé à Nairobi, “mais aussi longtemps qu’au sein du conseil d’administration, l’on trouve des gens qui, d’une part, prennent des décisions importantes, et d’autre part, y font du lobbying actif ou tirent avantage de décisions prises par ce même conseil, il y aura un problème.”

“Une organisation comme le gestionnaire international des noms de domaine Icann est nécessaire”, a expliqué à Data News Neelie Kroes, commissaire européenne, en marge de l’IGF Meeting organisé à Nairobi, “mais aussi longtemps qu’au sein du conseil d’administration, l’on trouve des gens qui, d’une part, prennent des décisions importantes, et d’autre part, y font du lobbying actif ou tirent avantage de décisions prises par ce même conseil, il y aura un problème.” Ces dernières semaines, la Commission européenne a à plusieurs reprises clairement indiqué qu’elle voulait exercer plus de contrôle sur l’internet. Neelie Kroes, la commissaire européenne en charge de l’Agenda Numérique, est absolument outrée à propos de l’approbation du programme des nouvelles extensions internet par l’Icann. Dans une réaction officielle, Kroes a suggéré que l’Icann n’avait pas tenu compte des conseils des gouvernements, ce qui révélait une fois de plus que l’organisation devait être ‘très vite réformée’.

L’UE ne souhaite pas aller aussi loin que la Russie et la Chine (qui veulent héberger la gestion de l’internet aux Nations Unies). Les organes existants suffisent provisoirement, mais Neelie Kroes exige néanmoins que le GAC (l’organe-conseil au sein de l’Icann, dans lequel siègent les différents gouvernements) obtienne davantage de crédit au sein de l’organisation. La commissaire européenne semble parfois même suggérer que les gouvernements aient toujours le dernier mot dans les procédures décisionnelles complexes inhérentes au modèle multipartite de l’Icann (où différents groupes d’intérêts sont représentés).

Lors de la conférence internationale IGF (Internet Governance Forum) organisée cette semaine dans la capitale du Kenya, Nairobi, Kroes a répété une fois encore ses doléances: “Si l’internet veut remplir son rôle d’une manière cohérente, les gouvernements devront avoir davantage leur mot à dire dans la gestion de la plate-forme.” Data News a saisi la balle au bond pour lui poser quelques questions sur le sujet en marge de l’événement.

Pourquoi êtes-vous en fait si opposée à l’introduction des nouvelles extensions dans l’espace des noms de domaine?

Neelie Kroes: “J’estime que l’Icann est une excellente initiative et que nous avons besoin d’une telle organisation, que cela soit bien clair. Je ne suis pas partisane non plus d’une intervention gouvernementale si ce n’est pas nécessaire. Mais j’exige un système clair et transparent, où l’on tienne compte des préoccupations de toutes les parties.”

“Est-ce possible que des gens siégeant au sein du conseil d’administration de l’Icann prennent d’une part des décisions importantes ayant des conséquences mondiales (comme l’introduction de nouveaux suffixes internet, ndlr.) et fassent, d’autre part, du lobbying actif ou soient parties prenantes dans le secteur de l’internet? Les membres qui portent une double casquette, doivent être exclus.”

Tous les gouvernements ne sont pas favorables au modèle démocratique occidental. Que se passera-t-il si des pays comme la Chine ou Myanmar obtiennent plus de crédit au sein du GAC et donc au sein de l’Icann? Cela ne pourrait profiter à la liberté sur l’internet. Kroes: “Vous marquez un point, mais si l’Icann disposait à présent d’un conseil d’administration responsable, il n’y aurait pas de problème. Un conseil d’administration qui serait à l’écoute de toutes les parties. Mais lorsqu’on demande conseil auprès du GAC, puis que le conseil d’administration n’en tient pas compte, c’est qu’il y a un problème, vous ne pensez pas?”

Le GAC a émis 80 observations à propos des règles de demande de nouvelles extensions internet. L’immense majorité de ces remarques ont entre-temps été gommées. Quiconque prétend que l’Icann n’écoute pas les doléances des gouvernements, trahit quand même un peu la vérité, non? Kroes: “J’espère que vous ne prenez pas toujours les chiffres comme fil rouge. Je ne peux être convaincue que quand il s’agit du contenu. Nombre des 80 remarques ont été soi-disant rayées d’un trait de plume. Souvent, il était question de problèmes bénins. L’on n’a pas touché à l’essence. Pensez à la suppression de la scission entre registries et registrars par exemple (les nouvelles règles feront en sorte que les registrars mêmes pourront obtenir de nouveaux suffixes internet, les exploiter et les gérer eux-mêmes. Et les registries ne devront plus passer par des intermédiaires pour proposer des noms de domaine, ndlr.). L’industrie internet n’est pas encore prête pour un tel changement. L’Icann met même en danger les candidats gTLD potentiels, parce qu’ils risquent d’enfreindre le droit concurrentiel européen.”

Estimez-vous par conséquent que l’arrivée des nouvelles extensions internet constitue une démarche irresponsable de la part de l’industrie internet?

Kroes: “Je n’approuve pas cette décision. Mais j’estime que nous en sortirons.”

La gestion du système de noms de domaine ne doit-elle pas être confiée aux Nations Unies?

Kroes: “Une fois encore: pour moi, le système en soi ne doit pas changer. Un modèle multipartite est même préférable, mais alors conformément aux règles démocratiques telles que nous les connaissons en Occident. L’Icann doit évoluer vers un modèle avec de véritables élus représentatifs. Nous devons nous débarrasser des lobbyistes qui se présentent comme de multi-parties prenantes.”

Il est étonnant quand même que vous soyez si sévère vis-à-vis de l’industrie de l’internet. La Commission européenne éprouve plus de mal dans son approche des opérateurs télécoms. C’est ainsi que récemment, elle a encore voté contre un règlement plus strict en matière de neutralité du net. L’on est proche d’un internet à plusieurs vitesses.

Kroes: “Je suis plus optimiste que vous sur ce point. C’est en première instance aux entreprises qu’il appartient d’édicter des règles en matière de neutralité du net. Mais si quelque chose clochait sur ce plan ou si des choses inadmissibles se passaient, vous pouvez être sûr que nous passerions à l’action.”

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