Internet et vie privée

Si je mettais côte à côte tous les Villa PC dans lesquels j’ai évoqué le respect de la vie privée, on constaterait que le ton est devenu de plus en plus pessimiste au fil des ans.

“Le respect de la vie privée sur internet est de plus en plus utopique, tant dans la pratique que sur le plan purement philosophique”, concluais-je début 2004. Dans un récent communiqué, les fournisseurs belges d’accès à l’internet, réunis au sein de l’ISPA, semblent aussi pessimistes, mais aussi plus naïfs dans un certain sens. L’ISPA souhaite que l’UE édicte des règles identiques pour la conservation des données clients. La réglementation devrait également créer davantage d’équilibre entre la demande de sécurité et le droit au respect de la vie privée du citoyen. Le principe de base du raisonnement de l’ISPA est qu’il ne doit pas y avoir de différence entre le droit au respect de la vie privée du citoyen sur l’internet et hors du cadre de l’internet. Beaucoup de suppositions dans un seul communiqué. Il va de soi que nous tenons au respect de notre vie privée, mais il est tout aussi naturel que les intérêts supérieurs en jeu poussent à ce que l’on ne respecte pas ce “droit” de manière trop absolue. Est-il juridiquement, politiquement et philosophiquement “inconcevable” que le citoyen soit contrôlé aussi étroitement dans la vie ordinaire qu’en ligne? Ou l'”inconcevable” tient-il davantage aux limitations techniques de la vie ordinaire? Je me souviens, au début des années ’90, du tintouin suscité par l’augmentation du nombre de caméras de surveillance sur la voie publique. Aujourd’hui, les caméras sont omniprésentes. Lors de la récente visite du président Bush à Bruxelles, nous avons pu voir à la télévision un commissaire en chef bruxellois fier d’expliquer qu’il pouvait surveiller le moindre recoin de Bruxelles depuis son poste de commandement central. La raison qui fait que dans la vraie vie, nous ne sommes pas contrôlés autant que dans la vie en ligne tient donc essentiellement aux limitations techniques. Autre exemple: le ministère de la Justice a indiqué qu’en 2003, l’ensemble des juges d’instruction belges avaient ordonné deux fois plus d’heures d’écoutes téléphoniques que l’année précédente, et trois fois plus qu’en 2002. Un tiers de l’ensemble des frais de justice payés par le ministère de la Justice correspond à des écoutes de téléphones fixes et mobiles. Bref, le respect de la vie privée du citoyen diminue à mesure que la technologie d’écoute progresse et devient plus abordable. Et la pratique hors ligne n’a rien à envier à celle en ligne. Qu’importe finalement si les membres de l’ISPA doivent conserver pendant 12 mois leurs données clients. Certes, dans la plupart des autres États membres de l’UE, cette durée ne dépasse pas trois mois, mais dans des pays tels que les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, le trafic internet est activement écouté et les fournisseurs d’accès doivent même prendre en charge ces coûts (nettement plus élevés). Sur un autre plan aussi, la vie en ligne est comparable avec la vraie vie. En ligne, il est bien plus simple pour les citoyens ordinaires de commettre des vols de propriété intellectuelle à grande échelle. Dans le cadre de la lutte contre les copies illégales, les intérêts commerciaux en jeu sont énormes, et le respect de la vie privée constitue en quelque sorte le parent pauvre. L’argument selon lequel l’internet est utilisé massivement pour la diffusion de pornographie infantile et que toutes les mesures d’écoute se justifient a facilement raison de la résistance du citoyen. Si l’on ignore l’ampleur du phénomène de la pornographie infantile sur l’internet – vu qu’il n’existe aucune étude objective sur le sujet -, on sait en revanche que celui-ci a facilité la mise en oeuvre de mesures de surveillance et d’écoute très poussées, qui ont ensuite été utilisées essentiellement pour traquer les copies illégales. L’ignorance et la disponibilité massive et aisée de contenu de propriété intellectuelle volée sur internet ne constituent pas une excuse valable pour les juges. Cela ne me pose pas de problème particulier car il faudra bien un jour endiguer le phénomène de la copie illégale. Mais force est de constater que pour les responsables politiques et les multinationales, la notion de respect du droit à la vie privée, dans ce combat, en est réduit au rang de dommage collatéral regrettable.

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