Et si nous ne faisions plus qu’un avec notre smartphone…

© TEDxBrussels
Pieter Van Nuffel Journalist DataNews

“Les couples mariés depuis des années se contentent souvent d’un clin d’oeil pour se comprendre mutuellement. Et bien nous devrions avoir aussi ce genre de relation avec notre smartphone.” C’est Pattie Maes (MIT) qui parle et qui explique ici pourquoi nous ne devons pas éteindre plus souvent notre smartphone – comme d’aucuns le suggèrent -, mais plutôt ne faire qu’un avec lui.

Nous possédons deux types de cerveau: un cerveau biologique et un cerveau numérique. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont aujourd’hui en train de balayer l’écran de leur smartphone ou tablette. Cela veut dire que pour le restant de leur vie, leur cerveau numérique sera bien en place, et qu’ils y feront appel des millions de fois. Pour répondre à des questions ou pour rechercher des informations, nous utiliserons toujours davantage notre cerveau numérique.

Il existe cependant un problème de communication entre les deux cerveaux. Elle est en effet loin d’être parfaite. Leurs largeurs de bande ne sont pas adaptées. L’interaction entre nos cerveaux numérique et biologique doit être améliorée. Tel était le message que Pattie Maes est venue passer à TEDxBrussels.

“Les smartphones ont généralement besoin de toute notre attention, ce qui fait que nous n’en avons plus pour notre environnement. Ils exigent beaucoup de multitâche, ce qui ne convient pas à notre cerveau biologique.”

D’aucuns en concluent qu’il faut bannir collectivement le smartphone et redevenir indépendant de ce genre d’appareil. D’autres encore croient qu’il n’est plus possible de faire machine arrière et qu’il faut donc faire en sorte de littéralement fusionner avec notre cerveau numérique. Pattie Maes fait clairement partie de ces derniers.

Il faut cependant adopter une autre approche. La façon dont nous communiquons avec notre cerveau numérique par le biais d’une tablette ou d’un smartphone, est depuis des années déjà la même et est nettement trop compliquée. Pattie Maes souhaite améliorer trois choses: le système doit toujours être activé, il doit nous faire des suggestions et il doit prendre conscience de notre environnement et de notre humeur (notamment grâce à des capteurs mesurant en permanence notre activité cérébrale et notre pouls).

Pleine conscience

Selon certains spécialistes du comportement, plus de nonante pour cent des décisions que nous prenons, résultent d’impulsons spontanées et donc sous-optimales. Un exemple: vous ouvrez sans réfléchir le frigo et en retirez une boisson fraîche. L’équipe de recherche de Pattie Maes a mis au point des lunettes de réalité augmentée, qui détectent la boisson fraîche et y projettent un émoticône à la mine déconfite. Vous pouvez évidemment l’ignorer, mais au moins, vous vous demanderez si vous avez vraiment besoin de ce genre de boisson sucrée à ce moment-là. Ces lunettes peuvent tout aussi bien servir à apprendre. C’est ainsi que les lunettes intelligentes peuvent nommer tout ce qui se trouve dans votre champ de vision, dans la langue que vous voulez apprendre, ce qui s’avère aussi pratique en voyage.

Selon Maes, ce type d’appareil personnel doit nous aider à nous développer jusqu’à devenir la personne que nous voulons être. Voilà pourquoi elle a fondé Fluid Interfaces, un labo qui recherche de nouvelles façons de communiquer entre l’homme et la machine.

L’un de ses nombreux projets consiste en une application de ‘mindfullness’ (pleine conscience). Elle exploite des lunettes de réalité virtuelle et des capteurs mesurant notre activité cérébrale. L’objectif? Faire léviter des objets en se concentrant.

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Pattie Maes a décroché un doctorat en sciences informatiques à la VUB. Ensuite, elle a poursuivi ses recherches sur l’intelligence artificielle aux Etats-Unis, où elle habite depuis 25 ans déjà. Elle y est devenue professeure au fameux Medialab du MIT.

Alors qu’Elon Musk et Stephen Hawking mettent en garde contre les effets néfastes de l’intelligence artificielle (‘qui risque de faire perdre toute pertinence à l’homme’), Pattie Maes entend concevoir des systèmes intelligents capables de nous améliorer. Son champ de recherche s’est dès lors déplacé de l’intelligence artificielle vers l’interaction homme-ordinateur. “Au lieu de créer des systèmes connectés, je veux concevoir des systèmes qui rendent l’homme plus intelligent, ce que j’appelle l’intelligent augmentation”. Dans ce domaine, elle a déjà reçu pas mal de récompenses, comme le titre honorifique de “Global Leader for Tomorrow” décerné par le World Economic Forum.

Le sixième sens

C’est en 2009 qu’elle prononça son fameux discours TED sur le Sixth Sense (sixième sens). Ce fut là l’une des conférences les plus suivies de l’époque. Elle y démontra comment nous pouvons entrer en interaction avec notre cerveau numérique par la gestuelle. Vous voulez réaliser des photos avec les doigts? Suspendez un petit appareil photo et un projecteur autour du cou et représentez l’appareil photo comme un petit carré avec les mains. Vous voulez savoir qu’elle heure il est? Tracez rapidement un petit cercle autour de votre poignet – votre cerveau numérique le reconnaîtra comme si c’était une montre. C’est comme si vous possédiez un sixième sens.

Sixth sense remonte à sept ans maintenant, mais n’est encore et toujours pas apparu sur le marché. “Par expérience, je peux dire qu’il faut toujours attendre longtemps, avant que les innovations trouvent une application”, explique Maes.

Avant d’effectuer ce genre de travail, elle développa des systèmes de recommandations. Cela dura ici également un certain temps, avant que ses idées soient commercialisées. Même si leur application est à présent omniprésente – pensez à des services tels Spotify, Netflix ou Amazon qui font des suggestions sur base de votre comportement visuel préalable. Maes créa notamment Firefly Networks. Cette entreprise fut une pionnière dans le développement de systèmes de recommandations musicales, avant d’être revendue à Microsoft. “Nous avons conçu le premier logiciel dans ce but en 1994 déjà. Mais c’était alors un peu tôt. Les débats allaient encore vraiment trop bon train quant à savoir si les gens oseraient utiliser leur carte de crédit pour des achats sur internet.”

La façon dont les entreprises internet considèrent notre confidentialité est condamnable. Nous avons besoin de nouveaux modèles commerciaux.

Firefly Networks a collecté beaucoup de données d’utilisateurs et fut l’une des premières à être confrontée au souci du respect de la vie privée. L’entreprise collabora alors avec des instances publiques, afin de fixer des règles de protection de la confidentialité des utilisateurs dans un monde numérique. La manière dont ce genre d’entreprise considère à présent notre confidentialité, est inacceptable, selon Maes: “Nos données ne devraient pas pouvoir tomber entre leurs mains. Dans ce but, nous avons besoin de nouveaux modèles commerciaux, qui sont actuellement totalement erronés: tout est gratuit, et nous sommes donc le produit. Les services ne doivent pas être gratuits, s’ils sont au service de l’utilisateur et non pas à celui de la production de rentrées publicitaires.”

‘Black mirror’

Au moment où les idées de Pattie Maes et de son équipe de recherche trouveront leur voie vers le grand public, le débat sur la confidentialité sera encore plus aigu. “Nous devons être très prudents avec les conséquences involontaires des technologies que nous lançons”, explique Maes.

L’une de ces technologies consiste en des lunettes qui enregistrent chaque fois les dernières minutes de vos communications, pour vous permettre de toujours retrouver une partie que vous voudriez réécouter. Si nous nous imaginons un monde, où tout un chacun déambulerait avec ces lunettes sur le nez, nous nous projetons dans un univers dystopique comme celui tout droit sorti de Black Mirror – la série de fiction britannique qui met en scène l’impact de nouvelles technologies. “Black Mirror, je l’impose à mes étudiants”, réagit Maes. “La lecture et le visionnement de récits de science fiction nous permettent de garder quelque part en mémoire les effets négatifs des nouvelles technologies.”

Capteur de sourires

Autre projet à haute teneur Black Mirror: le ‘Smile Catcher’. “Nous invitons ici les utilisateurs à porter un appareil qui enregistre chaque jour le nombre de gens qu’ils ont fait sourire. Mais l’appareil n’émet aucun jugement, comme dans la série (rire). Le but est simplement de rapprocher les gens.”

Une autre application encore, mais plus controversée, c’est celle qui fait apparaître directement des tags sur toutes les personnes rencontrées – sur base de ce qu’on peut trouver sur ce dernières sur internet. “Un peu désagréable? Peut-être, mais en fin de compte, il est aussi possible de le faire tout simplement sur Google. J’aspire à mieux intégrer le tout. Lorsque je rencontre physiquement quelqu’un, je veux que mon système me dise que j’ai déjà rencontré cette personne, il y a cinq ans, et qui me résume ce dont on a parlé alors. Ou qu’il me prévienne que je dois encore répondre à un mail de la personne en question.”

Pas mal de gens s’opposent à ce genre de technologie. Chez certains, cela s’apparente même à de l’agression vis-à-vis de l’utilisateur. Ce rejet fut l’une des raisons pour lesquelles les Google Glass ont été retirées du marché.

Selon Maes, cela est dû à une différence entre les générations. “Il se pourrait bien que le même produit eusse connu le succès, s’il avait été développé dix ans plus tard. Les jeunes ont l’habitude d’effectuer continuellement des selfies et préfèrent ne pas être filmés. Même si cela peut s’avérer désagréable de ne pas savoir, si quelqu’un est ou non en train de vous filmer. Peut-être un meilleur concept, comme un voyant qui s’allume durant la réalisation d’une vidéo, ferait-il déjà un monde de différence.”

Clin d’oeil

Des produits tels les Google Glass ou le smartphone, Maes ne les considère pas comme des gadgets, mais comme à ce jour la connexion la plus mobile avec notre cerveau numérique. Grâce à la reconnaissance des gestes et de la voix, cette interaction pourrait encore s’accélérer. A terme, elle n’exclut pas que nous connections directement notre cerveau numérique à notre cerveau biologique à l’aide d’implants cérébraux.

Maes estime pourtant qu’il est assez important que notre cerveau numérique puisse disposer du plus grand nombre d’informations possibles – indépendamment de la question de savoir comment la connexion se fera exactement. “Plus un système en sait sur vous, plus facilement il saura ce que vous voulez. Nous avons toujours notre téléphone sur nous, qui doit donc mieux nous connaître que notre partenaire. Les couples mariés depuis des années, se contentent souvent d’un clin d’oeil pour se comprendre mutuellement. Et bien nous devrions avoir aussi ce genre de relation avec notre smartphone.”

Notifications irritantes

Entre-temps, pas mal de neuroscientifiques affirment que notre relation obsessive avec notre smartphone nous abêtit. Le flux permanent de notifications ne met-il pas alors en danger notre pouvoir de concentration? Maes: “Si vous recevez des notifications pertinentes à propos de ce que vous êtes en train de faire, il ne s’agit pas là d’une distraction, mais bien d’un apport très utile. Je trouve aussi problématique le fait d’être continuellement dérangé par des mentions qui n’ont rien à voir avec ce qu’on est en train de faire. Ce serait donc un grand progrès, si le système s’adaptait à l’endroit où je me trouve, comment je me sens et au travail que j’accomplis.”

Il convient de réfléchir aux tâches cognitives que nous voulons confier à notre smartphone et à celles que nous voulons encore faire nous-mêmes.

Reste à savoir s’il est bon pour nos compétences cognitives de faire tout résoudre par notre smartphone. “Je ne plaide pas pour confier tous nos travaux cognitifs à notre cerveau numérique, mais bien quelques-uns. Tout comme nous déléguons à présent déjà trop de tâches physiques, comme c’est le cas pour notre lave-linge par exemple. De la même manière, il convient de réfléchir aux tâches cognitives que nous voulons confier à notre smartphone et à celles que nous voulons encore faire nous-mêmes.”

Poupées Barbie

Pattie Maes est une top-scientifique active dans un monde d’hommes car telle est encore et toujours la caractéristique du domaine IT. Chez nous, un nombre incroyablement réduit de jeunes filles opte pour des études ou une carrière STEM (science, technology, engineering & mathematics). “C’est encore et toujours un problème aussi aux Etats-Unis. Il est regrettable qu’un aussi grand nombre de nos technologies actuelles soient conçues par des hommes. Si l’on pouvait impliquer davantage de femmes dans le développement de logiciels et de matériel, nombre d’idées originales verraient le jour dans le monde IT. Je suppose qu’on concevrait alors moins de gadgets et plus de technologies accordant la priorité à l’humain.”

“Lorsque j’étais petite, je ne construisais pas de robots et je ne démontais pas des radios. Je jouais simplement avec des poupées Barbie”, explique encore Maes, qui a, rappelons-le, effectué des études de sciences informatiques. Elle espère que davantage de filles lui emboiteront le pas: “Lorsque les premiers ordinateurs ont été mis au point – à l’époque des cartes perforées -, l’accent était encore mis sur les calculs. A présent, il est question d’aider et de rassembler les gens. Je pense que c’est là un thème qui devrait intéresser pas mal de filles.”

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