Communicateur ou chômeur, il faut choisir !

Les jours de l’informaticien pur et dur, incapable de comprendre le bilan de son entreprise, sont comptés. En raison de la sous-traitance, des budgets étriqués et des conditions économiques, il n’y a plus de place pour lui. Il s’avère à présent plus économique de trouver les compétences purement techniques dans un quelconque pays lointain. L’informaticien de demain sera soit un bon communicateur connaissant la gestion de l’entreprise, soit un chômeur.

A la préhistoire de l’automatisation, les informaticiens étaient enfermés avec leurs ‘mainframes’ dans des locaux dépoussiérés intimidants. Ces ‘nerds’ ne devaient pas se soucier des autres membres du personnel et pouvaient se satisfaire d’une communication avec les… armoires d’IBM. Ils ne devaient pas savoir quels produits leur entreprise vendait vraiment et l’on n’attendait même pas d’eux qu’ils participent aux petites fêtes annuelles du personnel. Cette époque est depuis longtemps révolue. Le changement se dessina dans les années ’80 lors d’une conférence, au cours de laquelle les informaticiens apprirent qu’on devait apprendre à communiquer dans d’autres langages que le Cobol. Et cela alla ensuite de mal en pis. Lors d’une conférence ultérieure, le chef déclara que – oh malheur! – tout le monde dans l’entreprise recevrait un ordinateur de bureau.DémystificationQuiconque suit les rapports des analystes de marché américains, pourrait conclure que le moment est venu de démolir les vestiges des dernières murailles entourant l’ICT. Selon Diane Morello, analyste au cabinet Gartner, les causes de la suppression de l’isolement sont le ‘global sourcing’, la restructuration des entreprises, la démystifcation de la technologie et l’automatisation de l’ICT. Autre facteur: la compression des budgets. L’auteur James Champy s’attend à ce que l’ICT opérera dix années encore dans un climat “plus pour moins” en raison de la pression de la sous-traitance.Dans le rapport ‘The IT Professional Outlook: Where Will We Go from Here?’ de Gartner, Diane Morello prévient que le marché américain du travail ICT régressera de 40% à l’horizon 2010. Cela signifie qu’il y aura du travail pour moins de personnes et que seuls les informaticiens ayant des connaissances en processus professionnels et de bonnes aptitudes à communiquer auront encore voix au chapitre. Le message de Morello est le suivant: “Quiconque nie les exigences du marché à développer des compétences professionnelles, a de grandes chances de se retrouver au chômage d’ici cinq ans.” Quiconque estimant qu’il s’agit là d’une vision trop pessimiste, sera probablement encore plus angoissé par la prise de position de Nicholas Carr. L’auteur de l’ouvrage évocateur ‘Does IT Matter’ s’attend en effet à ce que d’ici 2015, les services ICT soient, tout comme le gaz et l’électricité, disponibles chez tout un chacun, sans qu’il faille encore intervenir en interne.La démystification de la technologie (ICT) est l’une des évolutions obligeant l’informaticien à développer de nouvelles compétences. Lorsqu’avant, on lui demandait d’aider à redémarrer un ordinateur de bureau, il pouvait éluder les questions ardues en utilisant un jargon technique qui enlevait à chaque utilisateur l’envie d’en demander davantage. La situation est différente aujourd’hui. “Avant, les employés n’avaient aucune idée de la manière dont leur PC fonctionnait, déclare Robert Heath, CIO d’une compagnie d’assurances de Pittsburgh. Mais aujourd’hui, c’est tout à fait différent. Ils ont installé chez eux un réseau sans fil personnel et pensent à présent être bien au courant.” Selon le rapport de Gartner, cela signifie que les clients internes de l’ICT effectuent toujours plus de choses eux-mêmes.Exit l’expert pointuLes analystes qui ne croient pas que le marché américain du travail ICT va se réduire radicalement, estiment eux aussi toutefois que les exigences qui sont posées aux informaticiens, changent complètement. “Rappelez-vous mes paroles, déclare Bob Schmidt. Les ‘nerds’ purs et durs dans ce domaine sont condamnés à disparaître.” Schmidt, un vétéran ICT qui travaille pour l’entreprise texane Rapp Collins Worldwide, a récemment donné une conférence au titre dramatique: “Is the IT Profession dying in the U.S.?” En fin de compte, il répond par la négative à cette question, mais prétend que la branche ne sera plus accessible qu’aux personnes qui, outre une connaissance technique, auront une bonne intelligence de la gestion de l’entreprise et posséderont des compétences en leadership et en communication. Selon Schmidt, les informaticiens négligent trop souvent ce genre d’aptitudes moins évidentes pour eux.Une question. Quand Simon Dumont (25 ans) sollicite un emploi dans une entreprise ICT, quelles rubriques de son CV font-elles le plus d’impression? Est-ce a) sa formation universitaire en informatique?, b) sa connaissance de Java et Perl et de programmes de base de données comme SQL Server et MySQL?, ou c) son site web d’e-commerce personnel, sur lequel il vend des oeuvres d’art populaire importées d’Inde? Certes la formation et les compétences techniques de Simon lui permettront certainement d’être invité à une interview, mais grâce à son expérience de ‘webmaster’, il est possible qu’il ait la préférence sur d’autres sollicitants.Compétences métierL’exemple ci-dessus est basé sur les conclusions de ‘The Information Technology Workforce: Trends and Implications 2005-2008’, un rapport publié par la Society for Information Management (SIM) américaine et dont les auteurs écrivent: “Une chose est sûre: les informaticiens doivent acquérir une plus grande connaissance des aspects professionnels de l’ICT afin de progresser dans leur carrière. La compétence technique restera toujours une première exigence dans la discipline, mais 5 parmi les 10 plus importantes exigences que les organisations posent à leur équipe (ICT) interne, concernent la connaissance de l’entreprise et des processus de celle-ci.” La compétence qui intéresse le plus les entreprises, est, selon ce rapport, le ‘project management’.Selon le rapport de la SIM, la principale exigence que les employeurs posent à leurs collaborateurs ICT, c’est qu’ils puissent indiquer avec précision la mesure dans laquelle l’ICT peut contribuer au résultat d’exploitation. Les fonctions strictement techniques seront de plus en plus sous-traitées, surtout dans les grandes entreprises. Les emplois qui résisteront le mieux à la sous-traitance, seront les fonctions ICT qui exigent de grandes capacités en ‘business’ et gestion, comme le ‘business process re-engineering’ et le ‘project planning’. La meilleure stratégie pour la carrière d’un informaticien consiste dès lors à développer les compétences les plus malaisément transférables vers l’Inde ou le Pakistan. Le rapport SIM présente par ailleurs une vision nettement plus optimiste de l’évolution du marché du travail ICT que le rapport Gartner susmentionné. Selon la SIM, l’ICT américaine nécessitera davantage de personnel au cours des années à venir.Du comment au pourquoiUn informaticien devra non seulement savoir comment ses outils fonctionnent, mais surtout comment leur utilisation contribuera au résultat d’exploitation. Le CIO Robert Heath déclare à ce propos: “L’accent dans l’ICT se déplace des gens qui savent comment quelque chose fonctionne vers des gens qui peuvent vous dire pourquoi cela fonctionne.” Selon le rapport que Diane Morello a dressé pour Gartner, l’informaticien de demain sera toujours moins un expert en technologie et toujours plus un stratège d’entreprise. Cette évolution a déjà commencé au sommet – chez le CIO -, mais se poursuit partout dans l’organisation ICT. Si le CIO parle avec d’autres départements, ses subordonnés doivent pouvoir le faire aussi.”En tant qu’informaticien, vous n’êtes capable de bien communiquer avec les autres départements que si vous crédible, et être crédible, c’est montrer que vous savez de quoi vous parlez”, ajoute Robert Heath. Dans une chronique publiée dans Computerworld, Bill Gilbert, directeur général de l’entrerpise de recrutement/sous-traitance Korn/Ferry International, prodigue quelques conseils pratiques sur la manière dont un informaticien peut devenir ‘business savvy’. “Commencez par lire et par comprendre tous les aspects financiers de votre entreprise. Apprenez à interpréter le bilan d’exploitation et le ‘cash flow’, mais restez surtout au courant de tous les facteurs qui influencent votre entreprise au niveau financier et économique.” Le pas le plus radical qu’un informaticien puisse accomplir, c’est suivre une formation MBA.Dans sa chronique, Bill Gilbert insiste sur le fait que l’informaticien doit pouvoir comprendre l’entreprise du point de vue de ses clients tant internes qu’externes. “Essayez de comprendre quels facteurs déterminent la vie de vos clients internes et traduisez-les en support ICT dont ils ont besoin.” Il n’existe probablement aucune entreprise où ce principe est si rigoureusement appliqué que chez le géant de la distribution Wal-Mart. Au niveau philosophique, Wal-Mart estime que tous ses employés – y compris donc ses 2.400 informaticiens – sont avant tout des vendeurs au service du client.Selon Linda Dillman, qui vient de démissionner de son poste de CIO chez Wal-Mart, les experts de l’information doivent vivre dans le monde réel de Wal-Mart et doivent donc en savoir tout autant sur les roses chinoises en plastique et sur les tondeuses John Deere que sur les systèmes Java et d’aide aux décisions. Wal-Mart souhaite que ses informaticiens entrent dans la peau de vendeurs et de clients afin de pouvoir développer de meilleures applications d’entreprise. “Les meilleurs systèmes sont développés par des personnes qui comprennent exactement comment ils sont utilisés”, déclare Linda Dillman dans une interview parue dans Informationweek. Ce qui est étonnant, c’est que pour l’entreprise, il s’agit précisément d’un argument pour ne pas sous-traiter le développement d’applications en Inde.Formations ICTMême si Gartner prévoit une régression du marché ICT américain au cours des cinq prochaines années, tel n’est pas le cas d’autres analystes. Lors de la conférence ‘The Changing IT Workforce’, organisée à Boston par Forrester Research, différents orateurs ont évoqué une pénurie croissante d’informaticiens. Il suffit pour s’en convaincre de considérer la régression rapide du nombre d’étudiants en informatique. Dans plusieurs universités américaines, ce nombre a même diminué de 50 à 60% depuis l’éclatement de la bulle ‘dot.com’. En même temps, un nombre croissant de collaborateurs issus du babyboom sont admis à la retraite. “Les employés plus âgés possédant la connaissance et l’expérience s’en vont et font place à du nouveau personnel dénué de toute expérience”, déclare Laurie Orlov, analyste chez Forrester.Que convient-il de faire face à cette menace de carence? Selon le professeur John Rockart, spécialiste en formations ICT auprès du Massachusetts Institute of Technology, les universités doivent développer des modules de cours qui répondent mieux aux besoins changeants des entreprises. Et d’évoquer un ‘business-technology curriculum’. Rockart: “Il y a surtout un besoin croissant de formations en gestion de projets, ainsi que de personnes spécialisées en analyse systèmes, design systèmes, architecture et sécurité.”La Marquette University tente déjà de réagir aux besoins du marché avec un nouveau cours ‘managing offshore development’. Monica Adya, professeur, l’a développé en collaboration avec une université de Gurgaon (Inde): 17 étudiants de Marquette vont mettre en oeuvre un projet pour lequel 42 étudiants indiens développeront un logiciel. Ces derniers seront répartis en plusieurs groupes qui seront accompagnés par des managers américains en ‘low control’ ou en ‘high control’. Adya entend surtout faire comprendre aux étudiants l’importance des aptitudes en communication pour la résussite de ce genre de projet. En d’autres mots, il est temps que les informaticiens apprennent à danser.

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