Collibra à New York: “L’on est toujours confronté à l’adversité”

. © Benny Verhaeghe
Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

Collibra fait partie du petit club select des ‘scale-ups’ belges qui sont en train d’écrire une authentique histoire à succès aux Etats-Unis. Mais ce succès n’a pas été évident. “Pendant des années, nous avons fait des allers et retours et avons dormi dans des hôtels miteux. Nous avons été parfois au bord du désespoir car nous étions continuellement confrontés à l’adversité.”

Collibra est une spin-off de la VUB, spécialisée dans la gouvernance de données, un domaine en croissance rapide de l’ICT qui aide les entreprises à mieux gérer leur flux d’informations. Quasiment toutes les grandes banques américaines sont clientes de l’éditeur belge de logiciels, qui réalise 90 pour cent de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis et qui va ouvrir en juillet une nouvelle filiale à Big Apple.

Ces quatre dernières années, le chiffre d’affaires de Collibra a quasiment triplé à chaque fois: au cours de l’exercice en cours, l’entreprise franchira très probablement le cap des 20 millions d’euros. L’été dernier, ‘l’éditeur de logiciels le moins connu à la croissance la plus rapide’ a encore recueilli 20,5 millions d’euros auprès des capital-risqueurs britanniques Index Ventures et Dawn Capital, un record annuel en Belgique.

Même si l’équipe formée autour du CEO Felix Van de Maele est particulièrement ambitieuse, elle ne s’est pas vu présenter son succès sur un plateau. Il lui a fallu des années, avant d’être market fit et d’avoir une value proposition tout à fait correcte, et avant de pouvoir s’implanter aux Etats-Unis.

“Lors du démarrage de l’entreprise, notre présentation marketing n’était pas au point et nous vendions trop au départ de nos… valises”, explique Benny Verhaeghe, vp sales & marketing de Collibra, lors d’une visite dans le cadre de la mission BBNY organisée cette semaine à New York.

Pour stimuler davantage nos start-ups locales sur la scène internationale, iMinds, Start it @kbc et Telenet Kickstart organisent en collaboration avec Startups.be et Belcham un voyage d’étude à New York. En tout, la délégation comprend plus de 60 personnes. Une visite à la filiale américaine de Collibra était au programme de certaines d’entre elles.

“Pendant quasiment cinq ans, nous avons effectué des vols ‘aller-retour’ entre Bruxelles et New York, en pleine crise financière. Nous étions constamment à la recherche des tickets d’avion les plus abordables et dormions dans des hôtels miteux”, complète le CTO Stijn Christiaens. “Et c’est ainsi que nous avons progressivement développé un réseau.”

“C’était souvent épuisant”, se souvient Verhaeghe. “Le problème, c’était que nous vendions nos logiciels en droite ligne de nos… valises. Nous forcions en quelque sorte les clients potentiels à adopter notre façon de faire, ce qui ne va pas. Sachant ce que nous savons aujourd’hui, nous aurions dû venir nettement plus rapidement et de manière permanente à New York.”

Crise financière

Quoi qu’il en soit, la crise financière semble avoir été une bénédiction pour Collibra car subitement, les banques ont dû suivre des règles toujours plus strictes dans la gestion de leurs données et mettre à tout moment à disposition suffisamment d’informations sur leurs liquidités et leur solvabilité. Collibra a compris qu’il existait là une niche sur le marché et elle s’y est directement engouffrée. Il en résulte que la ‘scale-up’ concurrence à présent des sociétés telles IBM, SAS et SAP.

“Rien n’est plus agréable que de pouvoir affronter de grandes entreprises comme IBM”, déclare en riant Verhaeghe. “C’est la raison pour laquelle nous nous levons de bonne humeur chaque matin et que nous nous rendons au travail en sifflotant. Une entreprise telle IBM s’occupe surtout d’intégration d’outils rachetés – pratiquement rien n’est encore authentique -, et les clients le savent.”

“Il y a évidemment la possibilité que les grandes sociétés nous copient, mais dans ce cas, il leur faudrait sortir un produit de compromis adapté à leur gamme. Lorsque l’iPod est sorti, Microsoft a avec le Zune aussi lancé sur le marché un produit concurrent. Vous vous en souvenez encore? (rire).”

“Les clients potentiels ressentent instinctivement le manque d’authenticité chez les grands éditeurs de software. Ce genre de grande société éprouve toujours plus de difficultés à lancer elle-même encore des choses innovantes. C’est dans ce sens qu’il est donc incroyablement agréable de se trouver dans la position qui est la nôtre.”

Recruter

Aujourd’hui, le principal défi à relever par Collibra consiste à trouver suffisamment de bons collaborateurs. “Nous avons attendu longtemps avant de pousser la vente car il faut que les paramètres market fit et value proposition soient parfaitement en harmonie. Mais à présent que nous devons évoluer de manière agressive, nous avons évidemment besoin de personnel adéquat”, ajoute encore Verhaeghe.

“En fait, nous n’étions pas bien préparés à la croissance rapide à laquelle nous sommes confrontés maintenant. Nous aurions dû nous focaliser plus rapidement de manière structurelle sur le capital humain et sur le recrutement. L’activité software est une activité de capital humain, vous savez.”

A présent que Collibra a le vent en poupe, elle se tourne aussi vers l’Europe. Les filiales de Londres et de Paris viennent de s’ouvrir, et l’on espère faire de même à Berlin. “Maintenant que nous avons acquis de l’expérience en évoluant rapidement sur le marché américain, nous pouvons exploiter cette connaissance pour croître aussi plus rapidement en Europe”, affirme Christiaens. “Et nous recrutons toujours plus de personnes sur le Vieux Continent.”

Global

Le fait que Collibra ait dans un certain sens effectué le trajet inverse – croître d’abord aux Etats-Unis, puis seulement en Europe – a une bonne raison. “Nous étions mondialement connus en Belgique, mais c’est aux Etats-Unis que se trouvent la plupart des grandes sociétés, et chaque banque digne de ce nom dispose d’une filiale à New York”, poursuit Christiaens.

“La plus grande partie de nos revenus provient des Etats-Unis. Autrement dit, nous avons dû devenir une entreprise américaine et nous avons dû assimiler la culture américaine.”

“Il convient d’aimer ce pays”, approuve le vp sales & marketing. “L’on ne peut à coup sûr pas le considérer avec scepticisme, et il faut s’y investir à fond. Si vous manquez la dimension culturelle, cela devient très difficile.”

Il n’empêche que les deux interlocuteurs insistent sur le fait que – si l’on n’est pas ‘verticalisé’ en tant qu’éditeur de logiciels – il faut avoir une vision globale aussi vite que possible. “Vous avez réellement besoin de ce grand marché sous peine de vous faire engloutir par les plus gros poissons. Nombre d’éditeurs européens de software réussissent sur leur marché local, jusqu’à ce que les Américains arrivent. Ils sont alors très vite chassés du marché.”

“En outre, le marché européen est si fragmenté qu’il est tout simplement nettement plus facile et plus abordable de tenter sa chance aux Etats-Unis. Le risque est plus être plus grand ici, mais il en va de même de la chance de connaître le succès.”

Conseils à l’attention des start-ups

Christiaens et Verhaeghe ont encore distillé quelques conseils à l’attention de nos jeunes entreprises. Les voici:

  • Osez nager à contrecourant et prendre des risques. Lorsque nous sommes arrivés en pleine crise aux Etats-Unis, tout le monde nous prenait pour des fous. Mais nous avions vu une opportunité et y avons aussitôt réagi. Et retenez encore que l’angoisse est mauvaise conseillère.
  • Il est essentiel de bien s’organiser et d’être bien encadré. Collibra doit en partie son succès à son solide conseil d’administration composé de personnes très expérimentées disposant d’un vaste réseau.
  • Tenez toujours compte que vous allez être confronté à l’adversité. Après avoir accueilli notre premier client aux Etats-Unis, en Californie encore bien, nous nous sommes crus arrivés. Mais il nous a encore fallu attendre un an et demi avant de pouvoir accueillir un deuxième client américain.
  • Développer une entreprise est très exigent. Il arrive souvent que l’on soit proche du désespoir. Mais le risque et les difficultés ne pèsent pas lourd à côté des succès que l’on peut enregistrer.
  • Pour pas mal de décisions à prendre, il faut suivre son instinct. Ces dernières années, nous avons reçu de nombreuses propositions de capital-risqueurs, y compris américains. Pourtant, nous avons opté pour les britanniques Index Ventures et Down Capital. Il convient de pouvoir collaborer dans des conditions tantôt bonnes tantôt mauvaises car les capital-risqueurs connaissent la musique. Sachez aussi qu’ils peuvent prendre avec vous des décisions importantes.

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