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Analyse: l’amende européenne remet en cause la stratégie de Google

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Chez Google, on déclare que l’on propose justement davantage de choix dans le paysage mobile. C’est à moitié vrai. La position de force de l’entreprise est le travail d’une stratégie parfaitement au point, mais qui doit à présent être revue.

Tant la Commission européenne que Google allèguent de bons arguments expliquant pourquoi l’entreprise veut ou non évincer la concurrence. Google a raison quand elle déclare qu’elle est en compétition avec Apple, qu’il y a des centaines de millions de téléchargements de navigateurs alternatifs tels Opera ou UC Browser et qu’il est plus aisé aujourd’hui de changer d’appli que de navigateur PC dans les années 90, en faisant référence à une condamnation similaire de Microsoft pour avoir imposé Internet Explorer.

Google sait à nulle autre pareille quelles applis sont populaires et ce sur quoi vous surfez. En tant que firme technologique, cela alimente surtout son ego. Et pour le vendeur publicitaire qu’elle est, c’est le Graal!

Monopoliste (moins qu’Apple)

Mais les arguments de Google ne sont qu’à moitié vrais. Apple est certes le deuxième fabricant de smartphones le plus populaire au monde, la part de marché totale d’iOS n’est que de 14,1 pour cent contre 85,9 pour cent pour Android et qu’un misérable 0,0 pour cent (131.100 appareils) pour les autres acteurs. Qui étaient/sont-ils donc? BlackBerry, Windows Phone, FireFox OS.

Les arguments de Google ne sont qu’à moitié vrais.

Le CEO de Google Inc., Sundar Pichai
Le CEO de Google Inc., Sundar Pichai© REUTERS

Le fait que les navigateurs alternatifs représentent quelques centaines de millions de téléchargements, semble énorme, mais ces chiffres s’estompent, lorsqu’on sait que tous les trois mois, 329 millions d’appareils Android sont vendus. De même, le fait qu’il est aujourd’hui plus facile que jamais de remplacer une appli, mérite quelques nuances. Selon un GIF de Google, cela prend 30 secondes. C’est exact, si l’on maîtrise bien Android. Les utilisateurs moins expérimentés ne le savent pas et conservent des années durant les paramètres par défaut. De plus, toutes les applis préinstallées ne sont pas, et de loin, suppressibles.

Dans une réaction à la méga-amende reçue, on affirme chez Google qu’elle n’oblige pas les fabricants de téléphones à préinstaller ses applis. Tel n’est peut-être pas le cas aujourd’hui, mais la Commission européenne inflige l’amende notamment précisément parce que la firme aurait payé entre 2011 et 2014 des fabricants pour accepter ses applis.

Gratuit ou pas?

Mais la patrie la plus étonnante de la réaction de Google porte sur la subtile suggestion que l’entreprise garde explicitement Android gratuit, tout en amortissant son investissement (s’exprimant en milliards) avec des applis préinstallées, ce qui génère aussi des revenus pour certains acteurs. “Nous sommes préoccupés du fait que la décision européenne va perturber l’équilibre délicat atteint aujourd’hui avec Android.” Autrement dit: si nous ne pouvons plus gagner de l’argent ainsi, nous devrons en demander pour Android.

Sera-ce bien le cas? Très probablement pas

Google doit son succès au fait que la plupart de ses services (à la consommation) sont gratuits. Si Gmail ou Google Docs coûtaient 1 euro par mois, la majorité des utilisateurs se tournerait vers un autre fournisseur gratuit.

Google crée l’écosystème, mais s’en réserve les meilleurs côtés.

A tout seigneur tout honneur: Google a avec Chrome, YouTube, Android, Search, Play Store, Gmail et d’autres services encore rendu notre monde numérique nettement meilleur. Mais cette réussite n’est pas uniquement due à de bons produits, puisque l’entreprise en contrôle l’utilisation, et les applis préinstallées en sont une composante cruciale. Google crée l’écosystème, mais s’en réserve les meilleurs côtés.

Cela ne rapporte directement pas grand-chose. Google peut se targuer cependant de desservir 85 pour cent du marché des smartphones. Google sait parfaitement où Android est utilisé dans le monde, comment il est utilisé, quelles applis sont installées et même qui en sont les utilisateurs car ils ont quasiment tous un compte Google.

84 pour cent du chiffre d’affaires

Il en va de même pour les navigateurs. Google sait à nulle autre pareille quelles applis sont populaires et ce sur quoi vous surfez. En tant que firme technologique, cela alimente surtout son ego. Et pour le vendeur publicitaire qu’elle est, c’est le Graal! Vraiment? Le chiffre d’affaires de sa société-mère Alphabet s’est l’année dernière établi à 110,85 milliards de dollars, dont 84 pour cent étaient assurés par la publicité. Plus les services Google sont populaires, plus il rentre d’argent dans ses caisses.

Et maintenant?

Google peut facilement satisfaire aux exigences de l’UE. Tout comme Microsoft avec Windows, elle peut laisser aux utilisateurs le choix entre Chrome, Firefox, Opera ou d’autres alternatives. Idem pour les moteurs de recherche. Il y a de fortes chances que la majorité opte encore et toujours pour Chrome et Google Search.

Mais ouvrir cette porte, c’est ouvrir aussi celle d’autres choix. Pourquoi par exemple ne pas choisir Dailymotion en lieu et place de YouTube? Office Online en lieu et place de Google Docs? Voilà ce que veut éviter Google à tout prix car qui dit moins de services Google, dit à terme moins de rentrées pour l’entreprise, ce qui pèsera plus lourd qu’une amende de 4,3 milliards d’euros.

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