Allons-nous vers un internet dominé par les gouvernements?

Frederik Tibau est rédacteur chez Data News.

La fuite d’un document de la Commission européenne à propos de l’avenir de l’espace des domaines de top level sur l’internet ne laisse subsister aucun doute: un clash menace d’éclater entre les partisans du modèle multipartite de l’Icann et le groupe toujours plus imposant des gouvernements nationaux qui rejettent ce modèle.

La fuite d’un document de la Commission européenne à propos de l’avenir de l’espace des domaines de top level sur l’internet ne laisse subsister aucun doute: un clash menace d’éclater entre les partisans du modèle multipartite de l’Icann et le groupe toujours plus imposant des gouvernements nationaux qui rejettent ce modèle. En fait, la controverse porte sur la question de savoir si le gestionnaire du système des noms de domaine peut revendiquer une légitimité suffisante, du fait qu’aucun des top-managers de l’organisation n’a jamais été élu. Lorsqu’on envisage l’Icann d’une perspective juridique, la réponse inquiétante est à chaque fois que cette organisation fonctionne selon les principes qui ont été définis dans un contrat conclu avec ‘une agence du gouvernement américain liée au Congrès’.

D’un point de vue historique, le secteur internet est un secteur où les interconnexions sont nombreuses et où la recherche d’un accord est plus importante qu’une stratégie descendante (‘top down’). Le mot d’ordre de l’Internet Engineering Task Force – ‘même si le consensus n’est pas parfait, le code doit fonctionner’ – est éloquent sur ce plan. Les gouvernements y ont été et y sont considérés un peu comme un mal nécessaire. Il n’y aurait aujourd’hui pas d’internet global non plus, si toutes les parties avaient attendu patiemment une réglementation issue des autorités.

“Entre-temps, il y a eu cependant pas mal de changements”, déclare le consultant Michael Roberts. Roberts fut le tout premier CEO de l’Icann et dirigea l’organisation de 1998 à 2001. “Il ne s’agit plus aujourd’hui ni de packs TCP/IP ni de technologie, mais de contenu qui est diffusé avec toutes les implications sociales, politiques, religieuses et économiques que cela suppose. Quasiment chaque jour, nous sommes les témoins de la puissance d’internet, que ce soit pour renverser un dictateur ou pour en appeler à l’anarchie.”

Il y a dix ans, les politiciens estimaient qu’il ne fallait pas toucher à internet, “mais aujourd’hui, l’on assiste à un retour de balancier”, ajoute encore Roberts. “Reste donc à savoir dans quelle mesure l’Icann (et d’autres instances en charge de la gouvernance internet) devront évoluer vers des organisations constituées de véritables élus.”

Il convient d’y ajouter que le modèle multipartite fait lui aussi l’objet de sévères critiques. Pour beaucoup, ce n’est plus qu’un mini-moyen de cacher que l’organisation est dirigée par une armée de lobbyistes jamais élus.

“Une enquête sur le fonctionnement interne de l’Icann démontre en suffisance que les personnes dans la place, dont le bien-être économique dépend en grande partie des décisions de l’Icann, y ont beaucoup de choses à dire”, affirme Roberts. “En théorie, cela n’est pas possible dans une démocratie représentative.”

L’art de gouverner

“Comme il y a tant d’argent et tellement d’intérêts en jeu, nombre de décisions actuelles au sein de l’Icann ont une forte connotation politique. Pensez par exemple à tout ce qui se passe sur le plan des nouvelles extensions internet. L’idéalisme observé lors du lancement de l’Icann, a malheureusement quasi entièrement disparu.”

“Si l’Icann veut conserver sa quasi-indépendance, elle aura besoin d’un leader pragmatique et fort, capable de faire étalage de son art de gouverner. Le temps des platitudes à propos de la gouvernance internet par des fonctionnaires (de l’UE?) incompétents est passé. Mais le temps où des lobbyistes pouvaient se faire passer pour de multiples parties prenantes, l’est tout autant.”

“L’Icann possède encore et toujours la compétence et l’autorité nécessaires pour pouvoir agir comme un régulateur puissant et ‘éclairé’. Mais si l’organisation ne peut relever ce défi, un avenir dominé par les gouvernements lui semble irrémédiable destiné.”

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