Un fondateur sur quatre quitte, qu’en est-il des actions ?

Jeroen De Wit

Environ la moitié des jeunes pousses belges ayant un potentiel de croissance n’ambitionnent pas de grandir énormément. Elément sans doute aussi important d’ailleurs, les accords ne sont pas toujours clairs lors du départ de l’un des fondateurs.

Deloitte et la Vlerick Business School viennent d’interroger 152 start-up et 300 fondateurs. Ils ont sélectionné sciemment des entreprises à fort potentiel de croissance en examinant leurs ambitions d’évolution, les accords conclus entre actionnaires/fondateurs et les niveaux de rémunération. Les entreprises participantes avaient en moyenne 2,5 ans d’ancienneté et employaient 6,3 ETP (équivalents temps plein), même si ces effectifs s’expliquent surtout par quelques exceptions puisque 76 % de ces start-up comptent moins de 5 ETP.

” Nous avons constaté que 56 % n’avaient pas d’ambitions élevées de croissance “, commente d’emblée Veroniek Collewaert, professeure à la Vlerick Business School. En l’occurrence, il s’agissait pour une entreprise d’employer dans les 5 ans 30 collaborateurs au moins et de viser un chiffre d’affaires moyen de 8,7 millions ?, alors qu’une croissance faible implique plutôt 2 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 1,9 million ?.

” De nombreuses start-up belges ont une bonne technologie. Elles veulent être les meilleures en Belgique, mais sont souvent modestes quand il s’agit par exemple de lorgner les Etats-Unis, ajoute Sam Sluismans, partenaire et expert en start-up chez Deloitte. Leur technologie est souvent performante, nous avons aussi de bons universitaires et cela se remarque au niveau des start-up. Mais elles visent surtout le succès dans leur propre pays. C’est un peu lié à notre culture de la modestie. ”

” Au plan économique, la volonté est évidemment de grandir le plus possible. Cela peut paraître un cliché, mais les entreprises sont le moteur de l’économie et si le moteur reste petit, l’économie demeure limitée “, complète Veroniek Collewaert.

Se rémunérer ou pas ?

L’enquête s’intéressait également à la manière dont les fondateurs se rémunèrent et les accords conclus entre eux. Ainsi, il apparaît qu’à la création, 33 % des fondateurs ne se rémunèrent pas. Et au moment de l’enquête, c’est-à-dire alors que les start-up ont 2,5 ans d’ancienneté, ce pourcentage est encore de 15 %.

Et les initiateurs de l’enquête que son Vlerick et Deloitte citent même des chiffres concrets. En moyenne, un fondateur se paie 39.000 ? par an au moment de la création. Mais l’étude précise que la médiane se situe à 22.000 ?, alors que le montant maximum atteint 250.000 ?.

A fin 2016 (en moyenne 2,5 ans plus tard), la rémunération moyenne est de 56.000 ? alors que la médiane est de 40.000 ? et que le montant maximum reste de 250.000 ?. La réalité ou non ainsi que le montant de cette rémunération dépendent de plusieurs facteurs. Collewaert : ” Si votre société doit grandir, vous allez bruler du cash. Mais dans le même temps, vous ne voulez pas que vos fondateurs doivent se soucier de la manière dont ils vont régler leur loyer. Celui qui n’a pas d’enfant ou habite encore chez ses parents peut encore s’en sortir, mais à un certain moment, on peut avoir besoin d’argent et il ne faut donc pas être trop regardant. ”

” Nous nous sommes rémunérés dès le départ, explique Jeroen De Wit, CEO et cofondateur de TeamLeader. Nous avons créé l’entreprise dès la fin de nos études et je crois que l’on se versait un peu moins de 2.000 ? par mois les 2 premières années. A l’époque, je vivais encore chez mes parents et ce n’est que plus tard que j’ai loué un logement. ”

Joris De Bruyne, partenaire d’Eyesee, insiste sur l’importance d’un salaire. ” Nous ne touchons pas les plus grands salaires dans notre entreprise, mais nous nous sommes rémunérés dès le départ. Il faut pouvoir manger alors que l’entreprise se développe. Peut-être est-ce là l’une des raisons de l’échec de certaines jeunes pousses : il faut avoir une vie privée équilibrée pour réussir au plan professionnel. L’investissement doit permettre de bâtir une équipe, mais aussi de se verser un salaire afin de pouvoir rencontrer des clients et générer à terme du chiffre d’affaires. Il y a différentes manières d’aborder la question : faire appel à des investisseurs, chercher des fonds publics ou emprunter pour se développer sur quelques années. ”

Thomas Goubeau, CEO d’Aproplan, a opté pour une autre approche où les fondateurs se sont donné 12 mois. ” Je ne me suis pas payé la première année. Mais avant Aproplan, j’occupais une fonction de vente où j’avais pu économiser de l’argent. Depuis que l’investissement est finalisé, nous nous rémunérons, même si chez nous également, certaines personnes gagnent davantage que nous. Un salaire représente le court terme et les actions le long terme. ”

Le fait que le fondateur ou le CEO ne soit pas le mieux rémunéré s’explique de plusieurs manières. Ainsi, la rémunération d’un talent spécifique, par exemple une personne disposant d’une solide expérience, peut s’envoler. ” Parfois, il s’agit de personnes très expérimentées. Mais nous avons aussi des personnes qui vivent à New York et à Paris où le coût de la vie est simplement plus élevé “, explique De Wit (TeamLeader).

Financements alternatifs

Au-delà du financement par des pouvoirs publics, banques ou investisseurs, les ventes constituent évidemment une source de revenus à prendre en compte. De Bruyne (Eyesee) : ” Après avoir remporté Bizidee [un concours pour entrepreneurs de l’agence flamande pour l’innovation et l’entreprise, NDLR], Stefan Grosjean, CEO de Smapee nous a rejoint et nous avons obtenu un financement de la KBC. Dans un deuxième temps, nous avons réussi à persuader plusieurs clients clés, ce qui a permis de financer alors notre structure de coûts par des gros contrats. ”

” L’écosystème est désormais nettement plus développé. On trouve des start-up B2B qui peuvent vivre de leurs clients, tandis qu’il existe des financements publics. Il s’agit d’un puzzle qui permet de ne pas devoir abandonner toutes ses actions, précise Sam Sluismans de Deloitte. Mais ce n’est pas parce que l’on cède ses actions que l’on abandonne son pouvoir. Il faut organiser son entreprise afin d’en rester le patron. Ou prévoir un buy-back au cas où le fondateur s’en va. ”

Fondateurs contre actionnaires

Au démarrage de l’entreprise, les fondateurs possèdent en général l’ensemble des actions. Mais à mesure que s’ajoutent des investisseurs ou de nouveaux collaborateurs, les actions peuvent se diluer. Du coup, le besoin d’accords précis sur l’éventuel départ d’un des fondateurs se fait sentir. ” La moitié environ des fondateurs ont établi des accords professionnels, explique la professeure Collewaert. Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une convention écrite qui fixe les conditions d’un buy-out ou qui règle le sort des actions en cas de départ. C’est ainsi qu’il arrive que ce soit au fondateur qui reste que reviennent automatiquement les actions. ”

Si des accords précis sont conclus, c’est en général à la demande d’investisseurs. Collewaert : ” Ceux-ci sont souvent demandeurs d’un pacte d’actionnaires. Pourtant, il ne s’agit pas uniquement d’une protection pour l’investisseur externe. Tel est aussi le cas pour des amis proches impliqués lors de la fondation, sachant que les relations peuvent évoluer et qu’il arrive régulièrement qu’un fondateur veuille partir. ”

” Lorsque tout va bien, les investisseurs ont besoin des fondateurs, poursuit Thomas Goubeau (Aproplan). Nous avons eu la chance de négocier avec Fortino [le bras d’investissement de l’ex-CEO de Telenet, Duco Sickinghe, notamment, NDLR]. Nous avions au conseil d’administration une personne ayant 15 ans d’expérience, ce qui nous a permis de ne pas nous fourvoyer dans notre pacte d’actionnaires. Nous n’avons encore jamais dû voter sur un sujet. ”

Pour sa part également, TeamLeader a bénéficié à plusieurs reprises d’une injection de capital de Fortino. De Wit : ” Jusqu’au premier tour de table de financement, nous n’avions pas de pacte d’actionnaires. Puis Fortino nous a précisé qu’un tel pacte était nécessaire. Mais ce n’est parce qu’on a un tel pacte qu’il faut l’utiliser. C’est ainsi que l’un de nos fondateurs est parti après avoir seulement conclu un bon accord. ”

Définir les rôles

Un autre aspect est que les fondateurs ne peuvent pas forcément tout faire. Souvent, chacun est responsable au début d’un aspect spécifique de l’entreprise et à mesure que l’entreprise grandit, certaines tâches sont déléguées, tandis que l’on se rend compte que l’on ne maîtrise pas nécessairement tous les aspects de l’entreprenariat. ” Les bons fondateurs connaissent leurs forces et leurs faiblesses, poursuit Collewaert. Certains pensent pouvoir tout faire, ce qui n’est pas le cas. Il faut surtout travailler en équipe. Parlez-en à vos cofondateurs, définissez les rôles de chacun, les points forts des uns et des autres. ”

De Wit (TeamLeader) : ” L’un de nos fondateurs ne siège pas au comité de direction, il développe et suit les mêmes procédures que le reste. Mais cela ne fonctionne que si c’est un choix. ”

Départ réussi ou non

Travailler en équipe est une chose. Mais il y a de fortes chances qu’un jour ou l’autre, l’un des fondateurs quitte le navire. La professeure Collewaert évoque deux profils : le ‘good leaver’ et le ‘bad leaver’. Un fondateur qui quitte par exemple pour des raisons privées, mais en bons termes, figure dans la première catégorie alors qu’un fondateur qui part à la concurrence est évidemment un ‘bad leaver’. ” Rares sont les entreprises qui font une distinction entre les deux. Pourtant, on donnera volontiers un meilleur prix au ‘good leaver’ pour ses actions qu’à un ‘bad leaver’. Les fondateurs ont donc intérêt à considérer leur collaboration comme un mariage : au début, tout va bien, mais il arrive que la relation se détériore avec le temps. ”

” On constate que 60 % des fondateurs n’en discutent pas avec leurs cofondateurs. Il n’existe aucun contrat de buy-out. C’est regrettable. Même si personne ne s’attend à voir partir un fondateur, il faut au moins en discuter. Nombre de fondateurs estiment que cet aspect n’est pas important, tandis que d’autres ne savent simplement pas que c’est possible “, note encore Collewaert.

La nécessité d’un tel dialogue est confirmée par les chiffres : dans près de 1 start-up interrogée sur 4, le fondateur quitte dans les 4 ans. ” Cette personne possède encore des actions, ce qui montre la nécessité de prévoir des accords clairs. Une telle sortie ne se fait pas non plus d’un coup. En cas de scale-up, le délai est de 6,5 mois en moyenne. Dans un cas bien précis, le départ a même pris un an et demi. C’est long dans une entreprise qui évolue rapidement. Vous vous retrouvez avec une société où le fondateur ne veut pas rester, mais qui est toujours en poste et possède des actions. “

56 pour cent

des start-up n’ont pas de véritables ambitions de croissance.

33 pour cent

des fondateurs ne se rémunèrent pas à la création de la start-up.

Joris De Bruyne
Joris De Bruyne
Un fondateur sur quatre quitte, qu'en est-il des actions ?
© Getty Images/iStockphoto

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